Le livre blanc de la défense paru le 29 avril 2013, après des mois de réflexion et un retard de près de 3 mois, prépare la loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2014-2019 qui devrait être votée par le Parlement à la fin 2013. Ses conclusions sont à l’image de nombres d’orientations politique du gouvernement Ayrault et du président Hollande : austérité budgétaire, abandon de la souveraineté populaire et nationale aux mains des Etats-Unis, croyance aveugle en une hypothétique solution européenne. Sans compter une absence de vision stratégique à long terme.
Comme pour son programme présidentiel, François Hollande reste flou et ne change rien à la politique de ses prédécesseurs en matière de défense. Ainsi celui qui voulait « redonner du sens à notre présence dans le commandement intégré de l’OTAN » n’a pas modifié la ligne atlantiste qui était celle de Sarkozy. Avec le maintien de la France dans le commandement intégré de l’Otan et l’acceptation du projet belliciste de bouclier antimissile, il lui emboîte le pas. Les incantations en faveur d’une « Europe de la défense », élevée au rang de « priorité » dans le livre blanc, sont de dangereuses illusions qui ne prennent pas en considération les intérêts divergents qui peuvent exister entre les États européens. Le livre blanc affirme : « Notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance Atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne ».
Dans le communiqué de presse qui accompagne le livre blanc, le terrorisme figure « parmi les menaces les plus probables » pour la France. En cela la politique stratégique du gouvernement Ayrault-Hollande s’aligne sur celle des États Unis qui prétend faire la guerre à un concept : le terrorisme. C’était déjà la justification de l’intervention de la France au Mali, contestable sur le plan du droit international.
Cette opération s’est réalisée dans le flou le plus total et en l’absence de consultation préalable du Parlement. Des militaires français ont été envoyés sur le champ de bataille sans que les représentants du peuple français n’aient eu leur mot à dire. Une pratique avec laquelle la VIème République permettra de rompre. On ne peut commander à des militaires de risquer leur vie sur un champ de bataille au nom du peuple français sans une clarté absolue sur des buts de guerre conformes aux principes fermes établis par le peuple français.
Si le cadre budgétaire précis n’est pas totalement défini dans le livre blanc, des éléments importants sont d’ores et déjà connus. A la suite de son intervention télévisée du 28 mars dernier, François Hollande a affirmé que le budget de la défense serait maintenu pour les années à venir à « un peu plus de 30 milliards d’euros ». Le budget alloué à la Défense, hors pensions et gendarmerie, devrait au final être de 179,2 milliards d’euros pour les 6 années à venir et de 364 milliards pour la période 2014-2025. Ce qui équivaut à 29,8 milliards par an de 2014 à 2019. Mais au moins 4,5 milliards proviendront de recettes exceptionnelles tirées de la vente d’actions, de bâtiments et d’ondes hertziennes. Or une grande partie de ces recettes exceptionnelles sont hypothétiques : dans la précédente loi de programmation militaire 2008-2014 sur les 3,47 milliards d’euros de recettes exceptionnelles attendues, 980 millions seulement ont été réalisées. Parmi ces ressources exceptionnelles le gouvernement espère obtenir 1,2 milliard d’euros de la vente d’actions EADS suite à l’accord de gouvernance signé il y a quelques mois prévoyant de réduire de 3% la part de l’État français au sein de cette entreprise.
La vente des parts de l’État dans des entreprises stratégiques pour le financement des crédits militaires consiste à faire le choix du sacrifice des ambitions françaises en termes de défense souveraine pour satisfaire les exigences du ministère du budget, de l’Agence des Participations de l’État (APE) et in fine des capitalistes, uniques et derniers bénéficiaires de ces coupes dans les biens publics. Nous avons un exemple parfait de transfert du patrimoine national aux mains du privé sous couvert de “réalisme budgétaire” qui mènera à une révision à la baisse du budget de la défense. Il s’agit bien d’une politique d’austérité qui s’applique à l’armée. Le ministère du budget considère que la souveraineté du pays passe par la reconquête de la « confiance » des marchés financiers plutôt que par le maintien d’une force autonome en matière de défense.
Cette logique est désastreuse pour le statut géostratégique du pays. Elle conduit à multiplier les accords de coopération sur une ligne atlantiste selon le modèle signé avec la Grande Bretagne en 2010 par Sarkozy. Ainsi, le livre blanc affirme que la France doit s’engager dans le processus de mutualisation et de partage des défenses capacitaires adopté en 2010 par le ministère de la défense de l’Union Européenne au nom d’un « effort commun ». Elle conduit aussi à remettre en question des programmes d’armement et à opter pour du matériel américain comme c’est le cas pour le drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance), choisi au détriment du développement du programme Talarion d’EADS. Cette politique de “mutualisation” a été pensée à l’OTAN, donc par les Etats-Unis et déclinée sous le concept marketing de “smart-defense”.
A la suite des 54 000 suppressions de postes dans l’armée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ce livre blanc en annonce 30 000 autres. L’armée de terre devrait être la principale touchée avec la perte de deux brigades (7 000 hommes chacune) ainsi qu’une cinquantaine de chars lourds et une soixantaine d’hélicoptères. L’armée de l’air ne sera pas non plus épargnée avec la perte d’une cinquantaine d’avions (près de 1/5 de son ordre de bataille), soit l’équivalent de deux escadrons.
Cette politique hasardeuse est dangereuse car elle remet en cause la souveraineté de la défense et de la diplomatie nationale en les rattachant aux visées américaines et en cherchant à faire des économies là où les forces armées ont déjà depuis longtemps fait office de variable d’ajustement. La France, nation universaliste, doit se mettre au service de la paix au sein d’un monde multipolaire débarrassé de toute hégémonie et respectueux du droit international. Elle ne doit pas perdre sa capacité à se défendre. C’est pourquoi la sortie de l’Otan mais aussi la création d’un pôle public de l’armement et la fin de la privatisation des missions de défense sont, parmi d’autres, des impératifs : la souveraineté en matière de défense et de diplomatie est l’ultime délégation de souveraineté qu’il est possible de faire. Elle n’est réalisable qu’avec un partage de la totalité des intérêts français et donc de ses législations sociales, fiscales et principes constitutionnels.
Arthur Morenas