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D’Athènes à Madrid, « Ganemos », gagnons

Deux formes de construction d’une force alternative semblent se dessiner pour la gauche en Europe. L’une, a campé face au système, avec courage et patience minutieuse, sur la base de principes anti-austéritaires, sans jamais transiger avec les forces molles, comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon au gymnase Japy : Syriza. L’autre, invente, teste, renouvelle les façons de faire et d’impliquer les gens, afin de canaliser de façon transversale toutes les indignations : Podemos.

La première est plus traditionnelle et fidèle à ces options de bifurcation que nous avons inventées face à la social-démocratie, après l’échec du « socialisme réel ». La seconde est plus fulgurante et efficace. Mais elle est plus flottante dans son discours et ses accroches idéologiques, dans la mesure où priment en permanence pour elle, dans cette deuxième phase de croissance, la communication et la recherche de la centralité la plus étendue possible du champ politique : ni gauche/ni droite, ni concepts trop clivants. Syriza fusionne et additionne (les verts, les exclusions du PASOK). Podemos absorbe, éclipse non seulement le PSOE mais aussi Izquierda Unida et les mouvements sociaux. Il y a bien des points communs dans les alternatives programmatiques proposées et, dans les deux cas, une capacité à s’en tenir à une ligne claire et lisible pour les électeurs. En relisant la note de blog de François Delapierre présent au congrès de Syriza en juillet 2013, on mesure le chemin parcouru depuis dix ans par la coalition hellène, devenue parti, pour que « la peur change de camp » et qu’elle devienne majoritaire. En Espagne, l’ascension météorique de Podemos, pourrait aussi conduire à la victoire, dans un contexte différent.

Une longue et complexe année électorale

Au-delà de l’envie de transmettre depuis le Sud ce souffle d’enthousiasme politique aux camarades de France dont le début d’année a été difficile, il faut rappeler qu’en Espagne l’année électorale va être longue et complexe. Le contexte économique s’améliore légèrement, mais la récupération que veut mettre en scène le Parti populaire (centre droit) au pouvoir est toute relative. Les chiffres de l’emploi légèrement meilleurs fin 2014 cachent une précarisation du travail (à peine un emploi sur dix en CDI) et une diminution de la population active en valeur absolue, suite à l’émigration de centaines de milliers de jeunes. Dans ce contexte, où les cas de corruption du PP continuent d’alimenter l’indignation, Podemos caracole en tête dans les sondages et cherche à matérialiser dans la rue les soutiens reçus dans les enquêtes et sur le net, lors d’une grande marche organisée le 31 janvier. La « marche du changement », sans thème de mobilisation concret se veut une démonstration de force la plus ample possible. À gauche de Podemos, à Izquierda Unida (IU), dans les marées citoyennes, dans les syndicats, dont beaucoup de militants sont partis pour la formation du cercle mauve, certains s’inquiètent de cette stratégie qui semble reléguer au second plan les revendications sociales et propose un nouveau programme économique plus édulcoré que celui des européennes.

Par ailleurs, l’agenda électoral se présente de façon complexe pour Podemos jusqu’aux législatives de fin d’année. La rupture probable de l’accord de gouvernement entre IU et le PSOE en Andalousie, énorme communauté autonome où vit 1 Espagnol sur 5, peut précipiter la convocation de nouvelles élections locales. Dans le Sud, les ancrages traditionnels ont été moins bouleversés par l’irruption de Podemos, les socialistes et Izquierda Unida résistent dans les enquêtes d’opinion. Le PSOE est donné gagnant loin devant Podemos et IU. Que fera Podemos après les élections ? S’allier avec le PSOE, « la caste », pour gouverner la région semble inconcevable avec la stratégie nationale de rupture avec les accords politiques du passé. Se rapprocher enfin de IU si le score de cette formation reste important dans son bastion historique, briserait aussi la stratégie de l’autonomie complète, voire du remplacement des autres formations de gauche comme IU, mais aussi les partis de la gauche radicale autonomique ou écologiste comme ICV. C’est que Podemos ne veut pas de conglomérat de sigles qui ramènerait le courant aux accords de la vieille politique. Cela remettrait en cause sa puissante dimension rupturiste, au risque d’endommager le cercle vertueux électoral. Izquierda Unida par ailleurs est trop en difficulté et trop marquée à gauche. Un accord local pourrait aussi nuire au positionnement flottant qui permet à Podemos de compter par exemple avec l’appui de 25% de ceux qui ont voté pour la droite aux législatives en 2011.

Confluence citoyenne des mouvements et des partis progressistes

A Izquieda Unida pourtant, souffle un vent de fraîcheur et de rénovation profonde. Les sondages sont mauvais et cela a précipité le renouvellement de la dynamique politique. Le jeune député Alberto Garzon, ancien d’ ATTAC et des indignés du 15M, s’est imposé comme candidat de IU aux élections générales, fin 2015. Le secteur innovant qui l’appuie, comprenant de nombreuses figures très populaires à gauche, relève le défi d’une récupération du parti. Une IU renouvelée et renforcée qui permettrait d’être l’appoint à l’immense force que constitue Podemos, voilà ce qui pourrait être la clé d’un vrai changement outre-Pyrénées, en évitant à la formation d’Iglesias de devoir s’entendre avec le PSOE. C’est en tout cas le point de vue des camarades du PG et FDG d’Espagne qui travaillent à rapprocher tous ces acteurs.

Après les probables élections andalouses, ce sont justement les élections municipales qui serviront en mai de laboratoire le plus intéressant. Les plateformes citoyennes « Ganemos », gagnons, se sont multipliées dans toute l’Espagne en déclinant le modèle du Guanyem de Barcelone. Dans la capitale catalane, les principales forces de transformation sociale se sont ralliées autour du parti fondé par l’activiste du droit au logement, Ada Colau. Celle-ci promeut un processus qui privilégie les listes citoyennes ouvertes, conformes aux attentes de changement de nombreux citoyens, fatigués par la politique traditionnelle. On retrouve ainsi dans Guanyem Barcelone, ICV l’allié écosocialiste du PG, EUIA déclinaison catalane de IU et même Podemos, qui ici a accepté de se fondre dans un processus unitaire mais novateur. A Madrid, la plateforme Ganemos qui a reçu un soutien populaire massif en ligne attend aussi que Podemos la rejoigne. L’échelle municipale permet donc de concrétiser ce que beaucoup attendent dans l’ensemble de l’État : une confluence citoyenne des mouvements et des partis politiques progressistes. Cette convergence qui réussit la synthèse entre rénovation des formes politique et unité de toutes les forces en présence assurerait les meilleures conditions pour un changement solide. Car, les puissances conservatrices et médiatiques traditionnelles ne lâcheront pas leur position de domination sans livrer une terrible bataille qui ne fait que commencer.

François Ralle Andreoli