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La machine à voler le temps

Nous sommes en 1976. Yvon Gattaz ne préside pas encore le MEDEF. Patron de Radiall, il crée le club ETHIC. Son objectif : mener la bataille idéologique contre l’Union de la Gauche menaçante. Son orientation : néolibérale. Son emballage : réconcilier l’éthique et l’entreprise. Que propose-t-il face aux rémunérations patronales indécentes ? L’au-to-ré-gu-la-tion ! Cette idée aura une longue descendance. En 1995, Marc Viénot, président de la Société Générale, publie un rapport pour autoréguler les entreprises cotées. Puis un deuxième. Ensuite, Daniel Bouton édite un énième document posant les bases d’une autorégulation exigeante et moderne. C’est le successeur de Viénot à la Générale. L’autorégulation se pratique en rond, dans un tout petit cercle. Le MEDEF prend la relève et se dote d’un comité d’éthique. En 2008, Parisot adopte un code de bonne conduite avec l’AFEP (lobby des grandes entreprises). L’autorégulation bat son plein, les revenus des patrons du CAC s’envolent. Maurice Lévy, PDG de Publicis, se fait voter une indemnité de 5,4 millions d’euros pour le jour où il quittera le groupe, à 70 ans. Pour clause de non-concurrence… La crise des subprimes révèle les spéculations des banques autorégulées. Même Sarkozy fait mine de s’émouvoir. « L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini ! » tonne-t-il en meeting en septembre 2008. Puis il va se rasseoir.

Nous sommes en 2013. Pierre Gattaz ne préside pas encore le MEDEF. Peut-être ne sera-t-il pas élu le 3 juin prochain. Mais c’est un fils spirituel d’Yvon, son père, qui représentera le grand patronat français. Il jurera à son tour promouvoir une autorégulation exigeante. Au PS, les héritiers sont moins bien élevés. Ils dilapident à tout va. Il ne leur reste désormais que l’adresse. Le solférinien Moscovici vient ainsi d’enterrer l’encadrement des revenus patronaux promis par Hollande. Le chef de Bercy-Batron explique dans les Echos qu’il a appris personnellement la bonne nouvelle à Parisot et au président de l’AFEP lors d’un récent rendez-vous. L’autorégulation se pratique décidément en tout petit cercle.

Nous sommes bientôt en juin et l’information fait la Une du mensuel Science et Vie. L’espérance de vie en bonne santé a reculé pour la première fois en France l’an dernier. Ce mouvement touche tous les pays capitalistes développés. Aux Etats-Unis, une étude publiée en mars démontre que la santé des baby-boomers actuellement âgés de 46 à 64 ans s’est dégradée par rapport à leurs parents. 43% d’entre eux souffrent d’hypertension, contre 23% pour la génération précédente. 73,5% d’hypercholestérolémie, contre moins de 34% précédemment. La proportion des diabétiques est passée de 12 à 15,5%.

Les apparences sont donc trompeuses. Le temps n’est pas suspendu. La roue capitaliste tourne et de plus en plus vite. D’immenses fortunes autorégulées s’amassent. L’humain est peu à peu broyé dans leurs machines à cash. L’intensité du travail se paie d’une explosion de l’arthrose et des troubles musculo squelettiques. La précarité fait dégringoler l’espérance de vie en bonne santé des femmes. Le chômage de masse nourrit les incapacités précoces. Le temps est traversé par cette lutte des classes dont Cahuzac nous assurait les yeux dans les yeux qu’elle n’existe pas. Gagné par les uns, il est perdu par les autres. Mercredi, la Commission européenne a exigé qu’on s’en fasse voler plus encore avec l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite. Assez de temps perdu, assez de temps volé ! En décrétant qu’on le lui rende, le peuple ne veut que son dû.

François Delapierre, Secrétaire national du Parti de Gauche