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Une mise au pas libérale

Confisquer le pouvoir et en faire le contraire de ce pourquoi on a été élu. Voilà résumée la première moitié du quinquennat de François Hollande. Dès août 2012, on se demandait « où est le changement ? ». A mi-mandat, c’est pire encore : ces 2 ans et demi auront servi à poursuivre la mise au pas libérale du pays.

Traité européen : le péché originel
« Je renégocierai le traité européen ». Le 11e engagement de François Hollande aura été le premier trahi. Dès juin 2012, le nouveau président s’est rallié au traité signé par Sarkozy. Ce renoncement matrice le quinquennat. Ce traité exige que « les budgets des États [soient] en équilibre ou en excédent » et prévoit des sanctions quasi-automatiques pour ceux qui tardent à réduire leur déficit. En l’acceptant, Hollande n’a pas seulement capitulé devant Angela Merkel. Il s’est engagé à appliquer l’austérité : c’est de là que viennent les coupes successives dont les 50 milliards d’euros encore à venir.

Réforme fiscale : le grand renversement
L’autre grand renoncement concerne la fiscalité. Après Sarkozy le « président des riches », Hollande avait promis une « grande réforme fiscale ». Moins d’un an après l’élection, l’arrogant fraudeur Cahuzac affirmait que « la réforme fiscale, elle est faite ». Pourtant, la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG a été enterrée. Le barème de l’impôt sur la fortune n’a pas été rétabli comme avant les allégements Sarkozy. La taxe à 75% sur les revenus supérieurs à 1 million d’euros a sombré dans le gadget indolore et disparaîtra au 1er janvier 2015. Riches et oligarques n’ont pas souffert. Le peuple ne peut pas en dire autant : il a été frappé durement par le gel du barème de l’impôt sur le revenu, maintenu en 2013 contrairement aux promesses.
Mais en matière fiscale, le reniement le plus frappant fut annoncé dès novembre 2012. Pour financer les 20 premiers milliards d’euros de cadeaux au MEDEF – le pacte de compétitivité – Hollande a décidé d’augmenter la TVA. Financer les cadeaux aux actionnaires par une hausse de l’impôt le plus injuste, c’est exactement ce que Sarkozy avait fait voter et que Hollande s’était empressé d’annuler à l’été 2012… avant de le rétablir quelques semaines plus tard sous un autre nom.

Politique de l’offre : gabegie nuisible
Ce pacte de compétitivité n’était que le début des cadeaux aux actionnaires. Il prévoit une « baisse du coût du travail » sous la forme d’un crédit d’impôt reversé aux entreprises en proportion de leur masse salariale. Depuis, Manuel Valls a ajouté 21 milliards d’euros de cadeaux nouveaux, entre baisse de cotisations et baisses d’impôts pour les entreprises. Au total, ce sont 41 milliards d’euros par an qui auront été donnés aux actionnaires lorsque ces dispositifs fonctionneront à plein régime. Le tout sans aucune contrepartie sociale ou écologique et « sans contrôle fiscal » !
Ces décisions sont évidemment contraires aux promesses de François Hollande. Mais elles illustrent parfaitement son idéologie libérale : pour lui, l’économie ne peut fonctionner que si les actionnaires s’enrichissent et si le travail ne coûte pas cher. Cette politique de l’offre est pourtant une gabegie. L’Insee apporte régulièrement la preuve de l’inefficacité de ces cadeaux colossaux : croissance quasi-nulle encore en 2014, baisse de l’investissement des entreprises prévue l’an prochain…

Le Medef au pouvoir
Cela n’empêche pas Hollande de cajoler toujours plus le MEDEF. Il s’apprête à le faire sur le travail du dimanche ou les seuils sociaux. Il l’a fait sur la retraite en allongeant la durée de cotisation à 43 ans pour pouvoir partir à la retraite à taux plein, pire encore que Sarkozy. Il l’avait fait aussi en transposant dans la loi l’Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 qui facilité les licenciements et institutionnalise le chantage à l’emploi. Combinés à la politique d’austérité, ces plein-pouvoirs donnés au MEDEF ont un résultat terrifiant. Depuis mai 2012, 800 000 chômeurs de plus sont inscrits à Pôle Emploi en catégories A, B ou C : près de 1000 chômeurs de plus par jour sous Hollande !

La finance se régale
Le peuple trinque. Mais la finance se régale. Moscovici hier, Sapin et Macron aujourd’hui, y veillent, bien loin du discours du Bourget de Hollande. Loin de « séparer les activités des banques qui sont utiles à l’investissement de leurs activités séparatives », la loi bancaire n’a été qu’un coup de pistolet à bouchon atteignant à peine 5% des activités spéculatives. L’interdiction promise des activités dans les paradis fiscaux a laissé place à une simple déclaration qui permet de mieux apprécier les conséquences du renoncement de Hollande. Quant à la taxe sur les transactions financières promise au niveau européen, Michel Sapin travail chaque jour à son sabotage cherchant à extraire du champ d’application les produits dérivés, les obligations et même les actions des entreprises non cotées en bourse.

La liste est trop longue et la place manque pour évoquer tous les mauvais coups. Si l’histoire se souvient de François Hollande, elle se rappellera sans doute qu’il aura accepté l’ouverture de négociations en vue d’un Grand marché transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique. Il a même appelé, depuis les États-Unis, à « aller vite » sur ce sujet qui menace les règles sociales, écologiques et sanitaires protectrices et veut rendre intouchables les firmes transnationales grâce à des tribunaux d’arbitrage privés.

A une autre échelle, l’objectif reste le même : l’adaptation de la France aux canons du libéralisme. C’est le but de la réforme territoriale : calquer l’organisation territoriale de la République sur le fonctionnement du capitalisme d’aujourd’hui : des méga-régions en concurrence entre elles, une poignée de métropoles qui aspirent tout ce qui est rentable et rejette le reste le plus loin possible, des citoyens tenus à l’écart, des services publics partout amoindris pour le plus grand bonheur des marchands.

On pourrait dire la même chose en matière d’écologie. La loi de transition énergétique actuellement en cours d’examen confirme la confiscation du pouvoir par quelques lobbies : le nucléaire est poursuivi sans que le peuple ne se soit jamais prononcé, la gestion des barrages hydroélectriques sera privatisée…

François Hollande a choisi de trahir ses électeurs et de poursuivre une politique de droite. Il travaille à expulser le peuple de tous les champs de l’activité du pays pour satisfaire l’oligarchie. A ce rythme et après « seulement » deux ans et demi, on a déjà envie de dire « Hollande, ça suffit ! ». Mais la leçon de cette moitié de quinquennat est là. Non seulement le changement n’adviendra pas en abandonnant le pouvoir à un homme. Mais pour changer de politique, il faudra d’abord reprendre le pouvoir sur la finance. En un mot faire la Révolution citoyenne.

Matthias TAVEL

« Où est le changement ? », éditions Bruno Leprince, août 2012