Quand on parle d’impôts, il est d’usage de citer la déclaration de 1789. En termes clairs, elle justifie la levée de l’impôt dans la cité : « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ». La légitimité de l’impôt se pose dès qu’il s’agit de faire un projet commun de société. Le consentement à l’impôt s’appuie sur cette convention partagée par tous. Mais la déclaration de 1789 ne se contente pas de souligner la nécessité de l’impôt en démocratie, elle fournit aussi les caractéristiques d’un impôt juste, devant être « également réparti entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés ». Ainsi, payer son impôt est un acte citoyen.
Dans toute sa modernité, elle va même fonder les règles démocratiques déterminant les orientations fiscales de la Nation : « tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». En relisant ces écrits datant de 225 ans, on comprend à quels points les dernières décennies de libéralisme ont attaqué les fondements même de l’identité républicaine de la France. Au contraire la 6e République devra faire du consentement à l’impôt la base démocratique d’une souveraineté fiscale retrouvée.
Pacte républicain menacé
Il aura fallu attendre 2014 pour qu’un ministre de l’économie, P. Moscovici, évoque un démagogique « ras-le-bol-fiscal » que P. Poujade n’aurait pas renié. Se réclamant des politiques de Thatcher et Reagan, ces libéraux ne cherchent qu’à saper le consentement à l’impôt pour priver le pays de ses moyens publics redistributifs. Au contraire, nous affirmons que les impôts les meilleurs ne sont pas les plus bas mais les mieux prélevés et les mieux employés dans l’intérêt général de la Nation. Au lieu de céder à la moindre mobilisation corporatiste de défense de niches fiscales comme « les pigeons », le gouvernement devrait garantir la justice de l’assiette fiscale.
Cet antifiscalisme assumé du camp austéritaire (le « haut-le-cœur fiscal » de M. Valls) est un faux-semblant : la fraude fiscale n’a jamais été aussi développée. Le manque à gagner annuel lié à la fraude au sens large est évalué à plus de 60 Mds € par an. Pourquoi la liste Falciani fournissant des milliers de comptes et sociétés de Français en Suisse n’a-t-elle jamais été utilisée par les gouvernements français ? Si la fraude et l’évasion étaient réellement combattues, les politiques de rigueur seraient caduques. En réalité, il est peu étonnant que l’attaque contre la légitimité de l’impôt vienne de ceux qui ne déclarent pas leurs impôts (T. Thévenoud) ou bien placent leurs avoirs dans des paradis fiscaux (J. Cahuzac). Il y a longtemps que l’oligarchie politico-économique a refusé de faire société avec le peuple.
Le juste prix des services publics
L’attaque en règle contre la fiscalité redistributive n’est pas neuve. Dès les années 2000, les gouvernements ont appliqué une « politique des caisses vides ». En abaissant le barème de l’impôt sur le revenu et en multipliant les niches fiscales, ils ont renoncé à percevoir l’impôt des plus riches. Selon le rapport du député Gilles Carrez (UMP) publié en 2010, l’annulation des baisses d’impôts accordées depuis 2000 rapporterait chaque année plus de 100 Mds €, soit plus que le déficit annuel !
De façon générale, l’impôt égalitaire est le socle de la solidarité d’une Nation. Celle-ci n’est pas contestée si la redistribution est juste et que les services publics sont assurés. Sans ça, l’institution fiscale est décrédibilisée. C’est pourquoi l’austérité qui paupérise aveuglément l’action publique et vise à privatiser toujours plus, attaque directement le pacte fiscal. Et l’illisibilité du système actuel pousse même les classes moyennes à se sentir coincées entre des ménages modestes soi-disant « assistés » et les nantis gavés à l’optimisation et évasion fiscales. Ainsi, l’État fiscal ne suffit pas, il doit être accompagné de l’État social, investissant dans les services publics de qualité pour tous.
Les hausses d’impôts n’ont de sens que pour redistribuer les richesses et relancer l’activité et non pas pour donner des gages aux marchés. Quel honneur de payer ses impôts si c’est pour construire des écoles, investir dans la recherche ou la culture, aider chacun dans les accidents de la vie et combattre les inégalités à la naissance. Quel gâchis s’il s’agit uniquement de rembourser une dette illégitime entretenue par l’appauvrissement volontaire de la République et les privilèges fiscaux accordés aux rois de l’évitement fiscal.
« Faibles et puissants face à l’impôt » Les travaux du sociologue Alexis Spire démontrent que l’usage de l’impôt et les méthodes de perception sont différenciés selon les revenus. L’administration fiscale a recours à des techniques implacables et mécaniques pour les petits montants. Mais elle se montre bien plus conciliante avec la grande fraude, des entreprises ou des contribuables aisés. Elle cajole les nantis et fait la chasse aux pauvres. Ainsi, les revenus du travail sont déclarés automatiquement et les fichiers informatiques sont croisés entre les différentes administrations pour généraliser les contrôles des demandeurs des prestations sociales. Mais la logique est inverse pour les détenteurs de patrimoine et les travailleurs indépendants. Les montants au titre de l’impôt sur la fortune sont ainsi évalués par les contribuables eux-mêmes, avec très peu de contrôles. En outre, la pénalisation est à deux vitesses : forte avec les pauvres et faible avec les riches. Pour de faibles montants et les classes populaires, l’administration privilégie la répression et la moralisation. Quand les fraudes sont élevées et difficilement détectables, seul l’objectif de rentabilité de l’État détermine les transactions de conciliation avec les fraudeurs. |
Révolution fiscale et 6e République
L’idée républicaine est depuis toujours liée à la lutte contre les formes indirectes de la fiscalité, telles que la TVA. Les niches fiscales constituent un réel retour de la démocratie censitaire puisqu’elles orientent les dépenses de l’État en fonction des revenus privés les plus élevés. En 1789, c’est déjà face à des impôts injustes que le peuple s’est soulevé ! Aujourd’hui, les privilèges sont toujours là, les richesses échappent à l’impôt et le système fiscal est inefficace. Au contraire d’un poujadisme fiscal qui mélange les genres entre bricolages et discours anti-impôt pour laisser les inégalités prospérer, la 6e République refusera les gribouillages au service des nantis et la concurrence fiscale au cœur même de l’Europe. Il est temps que les cancres qui nous gouvernent soient révoqués par le peuple, qui pourra alors enfin mettre en place la révolution fiscale qu’il mérite. Chacun sera alors fier de contribuer à l’impôt selon ses moyens.
Boris Bilia est coauteur du Manifeste pour une révolution fiscale (Bruno Leprince, 2013)