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Allo la France ?

Soudain, samedi dernier à 15h, Jean-Marc Ayrault s’est mis à parler en allemand, promu langue de l’Europe austéritaire. C’était un tweet, gazouillis en français (en allemand, j’avoue ne pas savoir). Traduit en langue de fonte nationale, il dit : « L’amitié franco-allemande est indispensable pour redonner un nouvel élan au projet européen et trouver les voies du retour de la croissance ». Ce message codé voulait faire taire les critiques adressées par le PS à Merkel. Un projet de texte destiné à ouvrir le débat de la convention solférinienne sur l’Europe avait été révélé la veille. Il regrettait « l’intransigeance égoïste » de la « chancelière de l’austérité ». Cette charge rappelait les ruses des auteurs victimes de censure. Merkel était ainsi la cible de critiques destinées à d’autres. L’austérité, c’était elle et elle seule. Les « réformes structurelles » dérégulant le marché du travail et allongeant la durée de cotisation pour les retraites, elle uniquement. La baisse des dépenses publiques et le blocage des salaires, personne d’autre. Une politique de l’offre visant la croissance par l’exportation, une autre de ses singularités. A croire que c’est elle qui faisait alors en Chine le service après-vente de l’accord Made in Medef ! Ces habiletés étaient déjà attentatoires à la majesté du couple exécutif. Ayrault a gazouillé, et Cambadélis s’est exécuté promptement, promettant une nouvelle version du texte expurgée de toute référence à Madame Merkel devenue Celle-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom.
Cette péripétie n’est pas seulement ridicule. Elle est grave. La France ferme une porte qui commençait à peine à s’entrebâiller. Signe des craquements actuels au sein de l’Union Européenne, et de la pression qu’exerce sur lui le gouvernement des Etats-Unis catastrophé par la spirale récessive dans l’Union Européenne, Barroso vient pour la première fois d’admettre que les politiques d’austérité atteignent leurs limites. A la place, il propose certes d’aggraver les réformes libérales ! Mais cet aveu devait être saisi pour réorienter les politiques européennes. Il fallait le faire sans tarder car au même moment le gouvernement de Merkel radicalise ses positions. Mardi elle attaquait : « les membres de la zone euro doivent se préparer à céder une partie de leur souveraineté à des institutions européennes s’ils veulent surmonter la crise de la dette souveraine et voir revenir les investisseurs étrangers. (…)Tant que la pression ne sera pas plus forte, certains préféreront suivre leur propre voie. » Jeudi, elle déclarait que l’Allemagne a besoin d’une hausse des taux d’intérêt. Vendredi, la Bundesbank contestait publiquement la BCE coupable de s’être déclarée prête à racheter sans limite les titres de dette sur le marché secondaire, ce qui a arrêté pour l’instant la spéculation sur les dettes espagnole et italienne. Mais samedi, Ayrault gazouillait les charmes du dialogue avec la chancelière.
Le gouvernement conservateur allemand impose l’austérité à toute l’Europe. Or il ne peut y arriver que parce que la France laisse faire. Moscovici se glorifie dans Le Monde de n’avoir jamais cherché une alliance avec les pays du Sud de l’Europe face à Merkel. Cette buse renonce à tout rapport de forces ! C’est aussi pourquoi le pouvoir ne veut pas s’appuyer sur la mobilisation du peuple français qui a voté majoritairement contre l’Europe austéritaire l’année dernière. Tout se tient. Mais dans les deux sens. Tout changement en France sera contagieux. La marche du 5 mai résonnera donc dans toute l’Europe. Une brèche à Paris sera une faille à Bruxelles.

François Delapierre