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Les deux moteurs de la révolution, Meeting de Montpellier, 11 avril 2013

Jean-Luc Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon

Le changement.

Mardi 11 avril 2013, une journée de travail se termine, mon appareil photo sur le dos, je décolle de Nîmes en direction de Montpellier. Ce soir, Jean-Luc Mélenchon tient un meeting. Sorti de l’autoroute, je me surprends à penser que tout à tellement changé… Cela ne faisait pourtant pas si longtemps que j’avais quitté Montpellier. D’un coup, ce fût l’occasion de prendre conscience à quel point la ville s’était métamorphosée ; elle était devenue une ville contemporaine, faite de tours à l’architecture dans le vent, casquettes de métal, blocs dépassant des façades, couleurs minérales, une ville bordée de grands complexes commerciaux, grands hôtels, grandes structures, grandes enseignes internationales, traversée par quantité de voitures et de tramways… Cela faisait-il le bonheur des citadins ? Je n’en suis pas convaincu. Depuis que je vis sur Alès, tout ces machins me paraissent démesurés. Depuis qu’en bas de chez moi, je peux aller au cinéma à pied, faire mes courses au marché, aller chercher un robinet chez le quincaillier du coin, me faire inviter pour boire un café par un commerçant, et ne pas pouvoir traverser la rue sans récolter et donner des sourires complices à ceux qui l’animent, je me dis qu’une ville n’est bonne qu’à échelle humaine, voilà quelque chose qui ne devrait pas changer.

Arrivé devant l’ancien hôtel de ville, je reconnais quelques camarades. Pas vraiment surpris de nous retrouver là, nous profitons pour partager ce qui nous lie à Montpellier. La mairie aussi avait fini par changer, pour plus grande, plus monumentale même. Sans doute y avait-il besoin de plus ; il y a toujours besoin de plus.

Des amis devaient me rejoindre, mais je ne résistais pas à entrer pour découvrir la scène. Il était 19h30, la salle était déjà bien remplie. Presque naturellement, conduit par la curiosité, je me dirige tout devant, évitant soigneusement de marcher sur les quelques militants qui s’étaient assis par terre. Je dégaine alors mon appareil et trifouilles dans les réglages. Des tribuns évoquent leurs luttes, les gens se parlent, l’ambiance est électrique. Il faut dire que les affaires appellent à conséquences…

David Hermet (GA)

David Hermet (GA)

La chose politique déplace les gens, de gauche.

Entracte, je reçois un SMS. Mes amis sont sur le parvis, impossible d’entrer, ils ont bloqué les portes… Trop de monde ! René Revol nous apprendra plus tard que la Mairie PS n’a pas « pu » prêté plus grand pour ce meeting du Front de Gauche ; hués dans la salle. Jalousie ? Qui peut se venter dans la période de rassembler autant de monde autour de la chose politique ? 1500 personnes à l’intérieur ainsi qu’un bon millier à l’extérieur contraint de rebrousser chemin. Mes amis ont tout de même pu écouter le meeting grâce à la retransmission audio. Quant à moi, j’étais aux premières loges. Il y avait peut-être deux ou trois personnes qui me séparaient de la barrière derrière laquelle s’étaient assis les photographes professionnels.

Je parlerai peu du contenu. Tout est là. Ceux qui prendront le temps de lire ce papier seront déjà acquis à la cause. Ils savent que le « choc de moralisation » proposé par François Hollande n’est qu’une sorte de fumigène, qu’une fois Cahuzac glissé sous le tapis avec la poussière de la 5ème, que les élus auront publié leurs patrimoines, que les commentateurs auront commenté, chacun retrouvera sa liberté de mouvement ; on passera à autre chose. Du moins c’est ce qu’ils croient. Ce choc n’a de percutant que le son qu’il produit, c’est un fracas qu’il faut pour refonder l’édifice et achever de le fendre. La 5ème République n’a plus grand chose de démocratique. Je parlais déjàdans un précédent article de la réforme qui a conduit à transformer cette république en monarchie parlementaire au suffrage universel.

Clémentine Autain

Clémentine Autain

Les nôtres savent aussi pour l’austérité. Ça ne marche nulle part. L’austérité livre les entreprises publiques aux vautours de l’industrie privée internationale, ronge les aides sociales et sanitaires jusqu’à l’os et au contraire de réduire la dette, elle la fait exploser… Points de suspension ici plutôt que d’exclamation, tant cela parait fou et laisse bien las celui qui comme nous constate. Eux aussi le savent que l’austérité conduit à la catastrophe économique et sociale, je veux parler de ceux qui gouvernent, ils savent, alors quoi ? S’ils savent, ils ont des yeux, des oreilles, une tête, que leur manque-t-il alors ? Des bras ? Quand feront-ils le choix de la radicalité ? De l’audace ? De l’intelligence ? Du combat ? Quand s’attaquera-t-on réellement aux causes du problème ? Quand ira-t-on chercher l’argent où il se trouve ? L’argent qu’une poignée a confisqué sous notre nez, avec notre consentement tacite. Nous avons élu des gouvernants qui dirigent car le peuple s’est désengagé du politique, or c’est au peuple de donner la direction, aux gouvernants, seulement de tenir la barre. À cause de ce désengagement citoyen, ces gouvernants/dirigeants ont promu des lois, certaines qui facilitent les ficèles financières, d’autres qui s’appliquent au peuple et qu’eux s’estiment prompt à ne pas respecter.

À la tribune c’est d’abord David Hermet de la Gauche Anticapitaliste, puis Clémentine Autain de la Fase, Oliver Dartigolles pour le PCF et enfin Jean-Luc Mélenchon du Parti de Gauche qui présentent cet état de fait. Nous en sommes là. Et maintenant, puisque de changement, il n’y a pas eu, qu’allons nous faire ? Que devons nous faire ?

Olivier Dartigolles

Olivier Dartigolles

Les deux mouvements de la révolution.

Deux moteurs sont à l’œuvre, deux conditions humaines nous animent, depuis le début, et à l’origine de tout bouleversement, de toute révolution. Il y a d’abord le cœur, l’émotion, ce qui ne se décide ni ne se pense. Cette émotion je l’ai touchée par deux fois en deux heures lors de cette rencontre. Une première fois en écoutant Olivier Dartigolles. Alors que ce dernier ne décollait pas ou peu du texte qu’il avait rédigé pour l’occasion, solide comme un roc, traçant sa route sans l’ombre d’un écart, j’ai perçu le tissu de sa chemise trembler. Peu à peu, il devenait sous mes yeux de plus en plus fébrile. Parfois, a-t-il dit, on lui posait la question de l’origine de son engagement en politique ; il se contentait alors d’évoquer sa famille sans plus de détails. Entre camarade, on se permet une plus étroite intimité. Olivier nous a alors parlé de son Grand-Oncle, Jean Lafourcade, déporté à Dachau. À cet instant, la salle entière portait attentivement l’émotion qu’il partageait avec nous. Quand bien même il s’efforçait de tenir ses phrases, les mots se faisaient hachés, la voix plus aigüe par accent, les membres tremblants. À l’œuvre en lui, il y avait là l’origine d’un engagement, la révolte contre l’injustice, l’horreur et la barbarie ; l’indignation d’un homme qui nait dans le ventre, parcoure le sang et fait battre le cœur. Résistance. Ce mot que l’on entonne parfois dans nos rencontres, résonna à cet instant en chacun de nous avec le poids de l’Histoire.

Un peu plus tard, alors que Jean-Luc Mélenchon enlevait en nos corps un enthousiasme fou de changement, c’est une première strophe de la marseillaise qui retentit spontanément sur ma gauche. Et comme après une frêle bise, le vent s’engouffre dans les drapeaux rouges des barricades, à nouveau l’Histoire de France se rappela à chacun de nous pour rejaillir de nos poumons, Nous soufflâmes en cœur ce texte dont le vocabulaire obscur et ancien recouvre en de rare occasion la plénitude de son sens originel. C’est le corps frissonnant que je repris en cœur avec mes concitoyens, « formez vos bataillons ! Marchons, Marchons ! Qu’un sang impur abreuve nos sillons ». L’orateur s’était effacé, tous portions la solennité et la gravité de l’enjeu. L’appel de la République était remonté jusqu’à nous.

Meeting Montpellier 110413 Sohpie Internationale

Nous sommes ce sang impur, dépourvu de la noblesse et de la richesse des puissants, celle de l’argent et de tout ce qu’il salit. Nous sommes à nouveau débout face aux ennemis de la République, contre ceux qui détournent le labeur des peuples et qui dévoient la haute fonction dont ils ont la charge, du balai ! Qu’ils s’en aillent, tous ! Nos armes, citoyens, ce sont les lois ; nous devons exiger la loi, la reprendre, car l’injustice grandit ; nous devons protéger la République qui nous protège, pour son salut et le nôtre.

J’évoquais deux moteurs, ce premier essentiel de l’émotion à la base de tout élan, à l’origine du dégoût, de l’indignation face à ces dérives toujours plus outrageuse et outrancière ; un second tout autant, qui transforme l’élan en système : la raison. Soyons exigeants, argumentons, dénonçons le mensonge, expliquons ce qui doit l’être à ceux qui souhaitent comprendre pourquoi les choses ne vont pas comme elles devraient aller. Soyons une force intelligente, responsable, mobilisons énergie, savoir et connaissance pour refonder un système qui nous gardera de la cupidité des hommes.

C’est pourquoi en nombre, en émotion et en raison, marchons le 5 mai à Paris pour une sixième république, exigeons la convocation d’une constituante capable de refonder une République sociale et solidaire, soucieuse des écosystèmes et des enjeux de notre temps : l’économie au service de l’Homme, et non l’inverse ; l’humain d’abord.

Xavier Aliot