Insurrection civique froide
Le second tour n’a pas plus intéressé les citoyens que le premier. Au contraire, l’abstention progresse encore légèrement en franchissant la barre des 50 %. Alors que les seconds tours mobilisent en général plus les électeurs que les premiers. C’est le signe d’une crise civique confirmée. A l’abstention s’ajoute un niveau record de bulletins blancs et nuls : 1,6 millions soit plus de 8 % des votants. Ceux-ci sont particulièrement nombreux dans les cantons où des accords d’appareil, notamment entre le PS et le PCF, avaient conduit des candidats à se retirer artificiellement. Ainsi la part des blancs et nuls atteint-elle 25 % des votants à Aubervilliers ou Pantin. En ajoutant nationalement les blancs et nuls à l’abstention, on arrive à une très large majorité de 2/3 des citoyens refusant de choisir parmi les candidats présents au second tour. On ne peut mieux dire la crise de représentation qui touche une fois de plus le système politique issu de la Vème République. La légitimité des conseils généraux, déjà indécise faute de compétences stabilisées dans la loi, n’en sera que plus altérée.
Le FN en embuscade
Après avoir déjà échoué à être en tête au 1er tour, Marine Le Pen a aussi raté son objectif du 2nd tour : conquérir au moins un département. Certes le FN remporte 62 élus alors qu’il n’en avait que 8 jusqu’alors. Mais cela représente trois fois moins d’élus que le Front de Gauche. Le FN est aussi loin de conquérir les départements qu’il visait. Avec par exemple 3 cantons remportés sur 23 dans le Var et 2 sur 23 dans le Gard. Ces percées vont cependant rendre certains conseils généraux très difficiles à diriger. Ce nouveau tripartisme départemental prive par exemple le Gard et le Vaucluse de majorité.
Droite : une victoire, pas un triomphe
En gagnant 28 départements au moins, dans l’attente de l’élection du président du conseil général dans quelques départements sans majorité absolue, la droite traditionnelle UMP-UDI-Modem remporte une victoire très nette. Nicolas Sarkozy peut se vanter que « jamais nous n’avions gagné autant de départements » en une fois. Cette élection a en effet suffit à la droite pour effacer des années de recul (1998, 2004, 2008, 2011) et inverser la tendance nationale. Le rapport de force passe de 61 départements de « gauche » contre 40 à droite avant les élections à près de 70 pour la droite contre une trentaine pour le PS-PRG et un pour le PCF.
Pour autant, cette victoire n’est pas un triomphe. La droite ne parvient ainsi pas à retrouver un nombre de présidences de conseil généraux égal à son record de 1992 de 72 départements. La force de l’UMP-UDI est surtout d’avoir bien résisté face au FN. Et d’avoir su profiter au maximum de la déroute du PS.
La déroute du PS
Cette fois, Manuel Valls n’a pas pu fanfaronner comme au soir du premier tour. Il a même essayé de tourner la page le plus vite possible pour parler des projets de son gouvernement. Il voulait masquer le naufrage de la liquidation de la gauche par François Hollande et sa politique.
Comme au municipales, la défaite combine écroulement global et perte de symboles forts pour le PS. Personne n’est épargné. Basculent ainsi du PS vers la droite la Corrèze de François Hollande, l’Essonne de Manuel Valls (et de son allié local le « frondeur » Jérôme Guedj), la Seine-Maritime de Laurent Fabius, les Deux-Sèvres de Ségolène Royal, le Nord de Martine Aubry, la Saône-et-Loire dirigée il y a peu par Arnaud Montebourg. Sans oublier les Bouches-du-Rhône que le PS dirigeait depuis 1945 et dont le président Jean-Noël Guérini appartenait au PS encore début 2014.
Cette déroute se traduit parfois par la disparition pure et simple du PS des assemblées départementales, entraînant avec lui toute la gauche dans le néant : Yvelines, Aube, Haute-Savoie, Var. Ailleurs, l’éradication est quasi-totale (Alpes-Maritimes, Mayenne, Vendée, Rhône) avec seulement un canton gagné. Dans certains départements, la déroute est foudroyante comme, dans l’Ain, département que le PS dirigeait depuis 2008 et où il ne remporte que deux cantons sur 23, uniquement grâce au FN (dans un duel et une triangulaire). Après les municipales, le PS est en voie de disparition soudaine dans de nombreux territoires.
Face à la sanction, le retour en force du fantôme de la gauche plurielle entre les deux tours n’aura pas démontré son efficacité. Ainsi, le canton de Bondy en Seine-Saint-Denis bascule à droite malgré un meeting commun Bartolone (PS), Cosse (EELV), P. Laurent (PCF) avec la ministre PRG Brigitte Girardin entre les deux tours. La victoire de l’UMP en Essonne signe aussi l’échec de cette stratégie alors que le PS et EELV y était alliés partout, et renforcés dans plusieurs cantons par le PCF dès le 1er tour.
Le Front de Gauche résiste
Le Front de Gauche remporte 176 élus. Plus l’autonomie de ses composantes étaient grande face au PS dès le 1er tour, mieux le Front de Gauche résiste. Ainsi le PCF gagne-t-il les 3/4 des seconds tours quand il n’était pas allié au PS au 1er tour, mais seulement la moitié quand il l’était. En Île de France, les deux départements qui restent à gauche sont ceux où tout le Front de Gauche était autonome au 1er tour, alors que le département qui passe à droite est celui où le PC partait avec le PS. On ne peut mieux dire à quel point la stratégie du rassemblement de la gauche est rejetée par les électeurs. La résistance face au FN est aussi proportionnelle au degré d’autonomie face au PS au 1er tour. Ainsi le Front de Gauche gagne 30 duels sur 31 qui l’opposaient au FN. Mais le PCF perd la moitié de ses duels face au FN quand il était allié au PS.
Ce n’est donc pas grâce à ses accords avec le PS que le PCF conserve près des deux tiers de ses élus. A commencer par le conseil général du Val de Marne où une stratégie d’autonomie à l’égard du PS a été majoritairement appliquée. Mais cette résistance ne masque pas la poursuite de l’érosion sous les coups de la sanction contre la gauche et d’un redécoupage moins favorable ailleurs. Ainsi, le PCF perd le conseil général de l’Allier au profit de la droite. L’historien Roger Martelli analyse que « le second tour n’a pas amplifié le décrochage territorial du premier » mais que si « le Front de gauche avait des élus (à 94% PCF) départementaux dans 61 départements ; ils sont désormais dans 37 départements, soit 24 de moins, pour l’essentiel perdus dès le premier tour ». Après le premier tour, il précisait que « les zones de densité ancienne forte [du vote PCF] continuent de s’effriter alors que des zones de faible implantation initiale enregistrent des poussées souvent sensibles ». Le vote Front de Gauche tend ainsi à s’ancrer de manière homogène sur le territoire. Même si cela ne se concrétise pas toujours par des élus, faute de scrutin à la proportionnelle.
De nouveaux élus PG
Le Parti de Gauche comptera trois nouvelles élues. Dans l’Aisne, Fabienne Marchioni l’emporte avec 60% contre le FN. Dans la Somme, à Amiens, Dolores Estéban l’emporte également avec près de 60% contre le FN, alors même que le PCF était officiellement allié avec la candidature PS au 1er tour. Dans le Val de Marne enfin, Jeannick Le Lagadec est élue avec 51,6% contre la droite.
Matthias Tavel et Laurent Maffeïs