De nos jours défendre la nécessité d’avoir des partis politiques est presque suicidaire tant le discours général veut que les partis soient dépassés et représentent des obstacles à la démocratie. Disons-le tout net si quelqu’un était capable de me proposer une autre forme d’organisation efficace et plus démocratique, je dirais oui tout de suite. Mais j’ai longtemps cherché, fréquenté tous les collectifs, appels, revues, réseaux divers pour arriver à la conclusion que certes les partis étaient énervants par de nombreux aspects mais que personne n’avait trouvé comment les remplacer de manière durable.
En réalité la méfiance exprimée aujourd’hui dans les enquêtes ne concernent pas que les partis mais l’ensemble des « institutions ». Ainsi selon une étude du Cevipof, 76% des Français ne font pas confiance aux partis politiques juste devant 72% qui ne font pas confiance aux médias, chiffre qui monte d’ailleurs à 84 % pour les proches du Front de Gauche quant aux médias. Il faut dire que vu comment ils nous traitent, ce rejet n’est pas étonnant. Cette rupture des citoyens envers les dirigeants s’exprime notamment par le fait que 44% d’entre eux pensent que les politiques s’intéressent « peu » à leurs préoccupations et un tiers (34%) « pas du tout » alors qu’en1977 la majorité (53%) avait un avis positif. Le décrochage s’est fait en 1983, soit sous Mitterrand lors du tournant de la rigueur.
Cette distance s’exerce aussi à l’égard des syndicats puisque 68% des français expriment leur méfiance à leur égard aujourd’hui alors qu’en 2010, au moment de la mobilisation contre la loi sur les retraites de Sarkozy, 55% leur faisaient confiance.
Or, à part les libéraux qui en profitent pour conclure qu’il faut supprimer les syndicats, personne d’autre ne développe cette analyse. En fait des expériences ont existé dans les années 80, notamment en Italie avec le développement de ce qui s’appelaient les Cobas (comités de base) par des salariés qui trouvaient que les syndicats ne les défendaient pas assez. Mais ces structures ont fini par coexister avec les syndicats. Dans les années 70 en France des comités de lutte ont aussi existé pour desserrer le contrôle que faisait peser le PCF à l’époque sur la CGT. Mais avec le reflux des luttes, ces structures ont disparu et aujourd’hui tous ceux qui continuent à se battre pour la défense des intérêts des salariés se rendent bien compte que la meilleure manière de le faire c’est de renforcer la syndicalisation.
En Amérique Latine, il y a certes eu des révolutions citoyennes sans parti politique important existant au préalable mais dans des conditions de mobilisation de masse et de crise du système politique qui n’ont rien à voir avec la situation actuelle de la France.
Alors pourquoi faudrait-il tirer de la défiance par rapport aux partis, la nécessité de les supprimer ? Aujourd’hui une majorité de français qui font de la politique le ferait en dehors des partis ? Mais ce n’est pas nouveau. Dans les années 70 il y avait beaucoup plus de militants hors partis qu’à l’intérieur. Qui a oublié le Secours Rouge par exemple ? Les énormes mobilisations contre le coup d’état au Chili ? Les comités de lutte de tout genre, aux lycées, en fac, dans les quartiers… ATTAC, à ses débuts, a mobilisé beaucoup de militants hors parti (plus de 40 000 adhérents au total), tout comme la formidable mobilisation contre le TCE en 2005 et les CUAL avant qu’ils ne se fracassent sur l’élection présidentielle de 2007. Les moments de lutte intense rassemblent bien au delà des partis. Mais heureusement qu’il y a des partis dans les moments de reflux pour garder des lieux de formation de nouvelles générations et des capacités d’initiatives sans compter l’aptitude à se présenter massivement aux élections.
Certains vont dire, oui mais en Espagne, il y a Podemos. Certes mais Podemos est bien un parti et très organisé et avec une direction nationale bien que l’Espagne soit un parti fédéral.
La question n’est donc pas à mon avis d’en terminer avec la forme parti. La capacité à répondre aux tâches politiques du moment repose sur la compréhension de la situation et des réponses à y porter ainsi qu’à la volonté de ne pas construire sa petite boutique en pensant qu’on a la vérité révélée.
Aujourd’hui concrètement en France, des pas importants ont été fait pour en finir avec l’émiettement politique en créant le Front de Gauche et en cherchant constamment à l’élargir. Avec les municipales une nouvelle période s’est ouverte avec les premiers rassemblements avec EELV. Elle s’est poursuivie lors des départementales donnant de très bons résultats dans de nombreux endroits. Il n’y a aucun cas de recul de ces rassemblements par rapport à des résultats antérieurs. Alors certes nous aimerions aller beaucoup plus vite, surtout que le FN continue sa progression ; ne pas faire deux pas en avant pour parfois en faire un en arrière ensuite. En tous les cas la leçon à tirer de ces départementales c’est qu’il faut continuer et approfondir l’union dans l’indépendance du PS, sur laquelle peut s’appuyer l’engagement citoyen, au jour le jour et pas seulement lors des élections. Cela veut dire aussi aller dans les mêmes dispositions d’esprit pour les régionales. Pas à pas, mais ferme sur la direction, sans jamais se décourager, et en essayant d’aller plus vite mais sans s’impatienter et tout rompre dans les passages difficiles, c’est ainsi que nous reconstruirons de l’espoir et de l’envie de s’impliquer car nous démontrerons que nos partis sont utiles. Et c’est aussi ainsi que nous préparerons les cadres pour dépasser chacun de nos partis dans une nouvelle organisation qui portera les combats démocratiques, sociaux et écologiques.
Alors bien évidemment qu’il y a beaucoup à améliorer dans nos fonctionnements, qu’on peut apprendre des méthodes les plus démocratiques de Podemos, qu’il faut être capable d’utiliser les nouvelles possibilités offertes par internet mais sans les idéaliser non plus. Car au final, les outils internet peuvent et doivent aider à la préparation, mais le plus démocratique c’est quand même le débat en face à face, en prenant le temps et en cherchant ensemble la construction d’une réponse commune quitte à la valider ensuite en utilisant le vote par internet.
De même, l’action politique à l’échelle d’un pays ne peut pas être que l’addition d’actions locales ou partielles. Le rapport de force ne peut pas se construire que localement. Il arrive un moment où il faut une convergence nationale et il en existe d’autres où l’impulsion va partir nationalement. Tout dépend du sujet et de l’objet de la mobilisation. Il est donc vain d’opposer local et national, direction et base. Tout est dans l’articulation et la façon de faire.
Il serait donc dangereux de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Martine Billard