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Faire République de tout bois

La semaine écoulée constitue évidemment un moment historique. Face à des assassinats politiques de djihadistes, rien n’était écrit à l’avance. Nous étions en plein déferlement « Lepéno/Zémmourien ». Le matin même Houellebecq, invité spécial de France Inter, voyait crédibiliser sa fiction délirante : « La France, un État Islamiste ? Houellebecq l’anticipe seulement de 10 ans » a pu dire un auditeur sans aucune contrepartie d’un journaliste. L’intention des tueurs et de leurs commanditaires était claire : susciter des réactions de haine, de division, d’appels à la vengeance, de racisme, tout ce qui peut alimenter le choc des civilisations. Ils ont échoué : face à eux s’est dressé, à l’inverse, la fraternité et un fort attachement à la laïcité. Nul doute que le profil politique des victimes de Charlie a donné le ton. Au-delà du symbole planétaire qu’il est devenu, on ne peut dire « JeSuisCharlie » au nom de valeurs profondément inverses à celles du journal. Car ne nous y trompons pas, même si Charlie était « pluriel » dans sa rédaction, ce sont bien des « nôtres » qui ont été ainsi attaqués en premier comme le furent il y a quelques mois les dirigeants du Front Populaire Tunisien. C’est le combat pour la liberté d’expression, contre l’obscurantisme, tous les intégrismes, tous les fascismes, tous les racismes et pour la laïcité sur lequel on a tiré avant que les tueurs ne visent d’autres cibles : policiers et personnes de confessions juive ou présumées telles.

Ainsi engagée, la houle qui s’est mise en mouvement à cette occasion a ensuite puisé son énergie dans le caractère encore profondément républicain de notre pays. Les différentes marches du 10 et 11 janvier, dont celle si puissante de Paris, constituent un acquis évident. Elles ont été d’autant plus fortes qu’elles étaient spontanées, même si des appels d’organisations et des cadres organisés se sont mis en place. Le peuple qui s’est mis en mouvement a exprimé une force collective et fraternelle qui est, si l’on y réfléchit bien, à l’opposé du modèle individualiste et de compétition que nous propose le libéralisme. On ne peut faire dire plus de choses à ces marches aux compositions sociales et politiques forcément diverses, et on ne peut oublier non plus que toute la société française n’était pas dans les rues, mais dans le contexte, dans la période, c’est déjà énorme. A sa manière, cette réaction citoyenne a constitué une sorte de Front du peuple.

La suite sera difficile à n’en pas douter, mais il s’agit d’un socle sur lequel s’appuyer. Dès samedi, par l’entremise de plusieurs des chefs d’états invités par François Hollande, une partie du monde politico-médiatique a pourtant tenté de récupérer l’événement : la France devrait enfin se rendre à l’évidence qu’elle est entrée pour de bon cette fois dans la guerre entre le monde démocratique et « occidental » contre la barbarie, le bien contre le mal, assimilant évidemment au mal tout ce qui n’est pas le paradis de l’OTAN, de l’Europe libérale et de la Troïka. Cela a été déjoué largement et les marches ont donné un tout autre visage. Mais cela va revenir vite. Cela a commencé à apparaître : mardi à l’assemblée nationale, Manuel Valls s’est empressé de lier l’hommage des députés au vote de la poursuite du funeste engagement militaire de la France au Proche-Orient et a prononcé le terme de guerre. Une politique guerrière qui, dans la lignée de celle engagée par les USA en Irak au début du troisième millénaire, n’a fait que multiplier dans le monde les foyers intégristes. Une politique qui empêche la France de jouer un rôle efficace pour la paix. Au nom de l’union sacrée, on essaiera aussi de relativiser les désaccords sur la politique économique alors que le libéralisme mine et déstructure notre société, préparant le terreau terrible de la récession sur lequel poussent si bien les intégrismes et fascismes de tout poil. L’extrême droite n’a pas cessé dans la période de vouloir diviser pareillement le peuple de France. Si le FN s’est retrouvé en porte à faux dans la période – démontrant d’ailleurs qu’il n’est pas à l’aise dès lors que le pays est travaillé par des valeurs républicaines – cela ne l’efface évidemment pas. Il a déjà recommencé à associer l’immigration aux pire de maux, cette fois les assassins de Charlie, et une partie de la droite a commencé à suivre. Mais pour la deuxième fois en peu de temps, la première étant fin décembre lorsque la possible victoire de Syriza a fait la une de l’actualité, ce que nous représentons est bien plus en phase avec le moment et les aspirations populaires que le FN. Il faut en profiter, d’autant que nous avons les réponses. Pour être à la hauteur, il faudrait en effet revenir à plus de République et de démocratie : nous le proposons avec la 6ème République et la constituante.

Réimposer la laïcité et l’éducation comme des socles de la citoyenneté et du vivre ensemble : nous n’avons jamais lâché prise sur cela. Loin des bla-bla qui vont fleurir, nous pouvons remettre en débat notre revendication d’une école publique, nationale, laïque et obligatoire assurée du monopole des fonds publics au détriment des établissements confessionnels tout en réfléchissant aux meilleures manières de renforcer l’enseignement de la laïcité. Au lieu des Patriot Act à la française ou de mesures coercitives et sécuritaires qui minent les libertés et affaiblissent les droits fondamentaux sans résultat, nous disons qu’il faut en finir avec l’austérité et remettre l’argent et les moyens dans les services publics dont l’éducation, on vient de le voir, mais aussi la police, la justice ou encore les prisons, qui ne peuvent constituer que des foyers de radicalisation dès lors que les conditions qui y règnent rendent impossibles toute dimension rééducative. En réalité, partout il faut faire République de tout bois, épousant ainsi ce qui est monté le week-end dernier si puissamment du peuple, ce qui commence par ne tolérer aucun amalgame, s’opposer à toute manifestation d’un racisme anti-musulman comme de l’antisémitisme . Bien sûr cela ne nous empêche pas de préparer les combats qui approchent : le soutien à Syriza dont la victoire pourrait faire tant de bien en Grèce comme ailleurs le 25 janvier, la bataille contre la Loi Macron à partir des premières mobilisations syndicales qui se dérouleront le 26 janvier, jour de l’ouverture des débats à l’assemblée nationale. Unité du peuple oui, union nationale décidément non…

Eric Coquerel
SN à la coordination politique du Parti de Gauche