Mardi 25 novembre le Pape était invité à intervenir devant le Parlement européen. Cette intrusion du religieux dans la sphère politique s’inscrit dans un contexte d’offensive renouvelée de l’Eglise sur la société et le débat public en France et en Europe.
Une Europe non laïque
L’intervention du Pape à l’invitation du Président PSE du Parlement européen Martin Schulz est révélatrice de l’absence de laïcité dans le fonctionnement des institutions de l’UE. Ce n’est pas le Pape lui-même et ce qu’il peut représenter pour les fidèles de cette religion qui posent problème. Mais bien le rôle politique et institutionnel qui lui est reconnu à cette occasion. Il rencontrera en effet aussi le président en exercice de l’UE, l’italien Matteo Renzi, le Président de la Commission européenne Jean Claude Juncker et le président du Conseil européen Herman Van Rompuy. En recevant ainsi le Pape l’UE reconnait l’Eglise comme puissance souveraine dans l’espace public européen. Dès les fondations de l’Europe communautaire, l’Eglise en a fait un lieu d’investissement et d’entrisme actif. Le « père de l’Europe » Robert Schuman avait annoncé dès les années 1950 que la démocratie européenne « serait chrétienne ou ne serait pas ». Une bataille de « civilisation » confirmée en octobre 1988 lors de la précédente intervention d’un Pape devant le Parlement européen. Jean-Paul II avait en effet plaidé à l’époque devant les eurodéputés pour un rôle actif de l’Eglise dans les affaires publiques européennes et pour fonder la loi sur « une norme transcendante du vrai et du juste ». Ce lobbying a fini par aboutir en 2007 dans le Traité de Lisbonne par l’institutionnalisation d’un dialogue privilégié entre les Eglises et l’UE. Les Eglises ont ainsi table ouverte dans tout le processus de décision communautaire. Il n’est pas rare de voir un évêque intervenir dans des réunions au Parlement, à la Commission ou au Conseil sur des sujets aussi variés que la paix, l’humanitaire ou la santé. Rien que la semaine précédant la visite du Pape au Parlement, la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères Frederica Mogherina a tenu une réunion sur la paix avec un ministre du Pape, le cardinal Basseti. La présence des religieux à la cour des oligarques de cette Europe nous renvoie au temps du Saint Empire romain germanique. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si l’Allemagne a été le principal promoteur du droit des Eglises dans les traités européens, face aux gouvernements capitulards successifs de Chirac, Sarkozy et Hollande.
Initiative pour la laïcité en Europe
Au-delà de la dénonciation des conditions politiques de la visite du Pape au Parlement, Jean-Luc Mélenchon a souhaité défendre positivement la laïcité en Europe en organisant le même jour au Parlement européen à Strasbourg une Initiative européenne pour la laïcité. Y sont intervenus Henri Pena-Ruiz pour expliquer pourquoi l’intervention d’un chef religieux dans une assemblée parlementaire pose un problème démocratique. Mais aussi la socialiste belge Véronique De Keyser qui a plaidé pendant 10 ans comme députée européenne pour une séparation du religieux et des institutions européennes. L’eurodéputée espagnole Marina Albiol a montré la gravité de l’offensive politique menée par l’Eglise en Espagne au détriment de droits humains fondamentaux, en particulier des femmes. Et le président de la Fédération Humaniste européenne, Pierre Galand, a présenté des pistes pour mieux défendre la laïcité en Europe. |
Des droits humains sous emprise religieuse
La déclaration de Jean-Paul II en 1988 sur la loi qui doit nécessairement puiser sa source dans une norme transcendante n’est pas restée lettre morte. Le Vatican et ses évêques dans les différents pays continuent de jouer un rôle très actif pour influencer les lois ou carrément les faire modifier ou abroger. La récente régression du droit à l’avortement en Espagne en atteste. Mais aussi l’intervention personnelle et particulièrement nocive du Pape François dans des débats du Parlement européen. Le Pape a par exemple reçu des eurodéputés au Saint Siège en décembre 2013 pour organiser le rejet par la droite et l’extrême droite du rapport Estrella sur les droits des femmes. L’intervention politique du Pape sur ce dossier fut décisive car ce rapport défendant le droit à la contraception et à l’avortement fut rejeté à 7 voix près. Une régression historique car le Parlement européen avait voté en 2002 en faveur du droit à l’avortement.
La France n’est malheureusement pas épargnée par cette offensive obscurantiste de l’Eglise. Le droit à l’avortement est toujours aussi chèrement disputé en dépit de sa garantie par la loi. L’intervention directe des évêques de l’Eglise de Rome contre la loi instaurant l’égalité du mariage et de l’adoption pour les couples de même sexe a aussi marqué une grave violation de la séparation du religieux et du politique affirmée par la loi de 1905. La loi de Dieu étant par définition sans limite, les mêmes mènent aujourd’hui un vif combat contre le droit à mourir dans la dignité. Cette promesse de François Hollande a jusqu’ici été enterrée. Mais l’Eglise n’hésite pas à pourchasser par tous les moyens ceux qui osent affirmer leur liberté absolue et individuelle face au présumé « créateur de la vie ». Ainsi le journal Ouest-France, dont les origines et la ligne éditoriale sont ouvertement chrétiens, a-t-il refusé en août 2014 de publier le faire-part de décès de la vice-présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité Nicole Boucheton. Une décision ouvertement discriminatoire et attestant de l’emprise de l’Eglise sur le premier quotidien de France.
La 6e République pour étendre la laïcité
Face à cette offensive, le pouvoir actuel en France n’oppose aucune résistance laïque. Pire, deux mois à peine après avoir été nommé 1er ministre, Manuel Valls s’est rendu au Vatican pour la canonisation des papes Jean-Paul II et Jean XXIII. Et il a annoncé depuis Rome que le gouvernement s’opposerait à tout texte sur la procréation médicalement assistée. Une capitulation qui invite à la plus grande vigilance quant au respect de la laïcité par ce gouvernement.
Car la laïcité n’est pas qu’une garantie individuelle de la liberté de conscience. C’est aussi une liberté politique. Il n’y a pas de souveraineté réelle des citoyens sous l’emprise du dogme. La laïcité comme « séparation » du religieux et du politique vise donc à libérer l’espace public de l’emprise des églises et clergés de toutes sortes. Pour garantir que l’espace public est bien le lieu du plus grand partage de chacun avec tous. Il n’y a en effet pas d’intérêt général humain définissable en commun si l’espace public est le lieu d’affrontements métaphysiques par définition inconciliables.
Pour redonner pleinement le pouvoir aux citoyens, la 6e République devra donc garantir partout et pour tous la laïcité. Sur tout le territoire, donc en abrogeant le concordat en Alsace-Moselle et en appliquant la loi de 1905 outre-mer. Et pour tous les citoyens à égalité quelle que soit leur religion. Donc en abrogeant les privilèges indus de l’Eglise catholique en France, notamment en matière fiscale et de financement public des écoles confessionnelles.
Laurent Maffeïs