Il faut écouter John Kerry.Le 29 avril dernier, le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, c’est-à-dire le ministre des affaires étrangères de ce pays, donnait une conférence à « l’Atlantic Council », un think-tank états-unien. Dans l’ambiance chaleureuse de ce cénacle atlantiste, le responsable de la diplomatie nord-américaine déroule ses raisonnements sur l’Ukraine. Face au gouvernement russe, les pays occidentaux doivent se regrouper. L’OTAN est l’instrument de leur solidarité globale et se conçoit comme une alliance politique, civilisationnelle et pas seulement militaire. D’ailleurs, comme le fait régulièrement Obama, Kerry tance les Etats européens qui ne dépensent pas assez pour développer leurs moyens militaires et donc ceux de l’alliance. Il souligne aussi que l’OTAN ne suffit pas. Pour se donner les moyens de sa confrontation avec Poutine, l’Europe doit se libérer de sa dépendance au gaz russe. Bingo : le Grand Marché Transatlantique permettra justement aux pays européens de bénéficier au meilleur prix des gaz et huile de schiste extraits par les pétrolières états-uniennes ! La salle est aux anges. Il faut dire que l’Atlantic Council a remis ces dernières années ses prix annuels au secrétaire d’Etat US à la défense, au patron de la pétrolière Chevron et au président de la Commission européenne Barroso. C’est l’oligarchie des « trois gros ba » : gros bâton, gros baril, gros balourd.
Voilà comment le gouvernement des Etats-Unis pousse ses pions en Ukraine. Première étape : neutraliser et dévier la mobilisation populaire contre l’oligarchie qui se gave à la tête du pays tandis que le grand nombre galère. Car l’oligarchie assure le bon fonctionnement du pipeline pour un péage de corruption somme toute économique. C’est d’abord l’ethnicisation du conflit ramené dans tous les médias dominants à un choc entre « pro-russes » et ukrainiens. C’est aussi sa militarisation. Dès que la confrontation politique et sociale prend la voie d’un affrontement armé, la victoire va en effet du côté des distributeurs d’armes : gouvernement russe d’un côté, OTAN de l’autre. Ceux qui restent autonomes sont promis à l’élimination. C’est enfin la solidarité du « bloc occidental ». L’information « libre » alors un rôle essentiel : annihiler tout esprit critique au bénéfice d’une logique d’alignement automatique. Il faut être avec ses alliés et ceux qui ne le sont pas soutiennent Poutine. Voilà pourquoi la crise ukrainienne nous est narrée comme une lutte entre méchants russes et gentils ukrainiens.
Pour l’heure ce sont plutôt les tenants de l’escalade qui ont la main. Sur place bien sûr avec le poids des groupes les plus radicaux. Mais aussi chez nous. Fabius parle certes de désescalade. Mais il tient à désigner Poutine comme seul responsable de la situation, ce qui est la meilleure manière d’encourager les partisans de la confrontation avec la Russie. Et Kerry se prépare aux prochains développements qui menaceraient l’approvisionnement énergétique de l’Europe. L’empire états-unien trouve dans la crise une occasion de vendre et son alliance et ses hydrocarbures. Il engrange d’autant mieux le bénéfice de cette crise qu’il est à bonne distance du théâtre des opérations et des centrales nucléaires qui s’y trouvent. L’Europe a une autre géographie et d’autres intérêts. Hélas ses dirigeants sont massivement alignés sur le grand frère américain. Il ne se trouve donc personne pour défendre une voie européenne vers la paix.
Ce sera aux électeurs de le faire le 25 mai prochain par leurs votes lucides et éclairés.
François Delapierre
Secrétaire national du Parti e Gauche