Jack London est mort le 22 novembre 1916. Lorsqu’on pense à lui, des images du Grand Nord se bousculent, les chiens courageux, les hommes coriaces, une espèce de ruée vers l’or en de multiples épisodes. Sauf que London, c’est tout ça, bien sûr, mais c’est surtout un engagement socialiste pas très à la mode en ce début de 20ème siècle, dans son pays, les USA. Il adhère en 1896 au Socialist Labor Party. Il en sortira en 1916 avec fracas, en désaccord avec son réformisme de bon aloi.
Pendant sa courte vie, il rencontre Debs, soutient la révolution mexicaine, voyage. Il « va voir », parce qu’il veut comprendre, et lutter, avec sa rage intacte, contre toutes les injustices. De Londres, il rapporte un document inclassable à l’époque. Son Peuple de l’abîme préfigure avant l’heure ce que seront le Quai de Wigan et celui d’Ouistreham, bien avant Orwell et Florence Aubenas. Une immersion totale dans les bas-fonds de Londres. Une plongée dans son passé de gosse des docks, de crieur de journaux, de voleur d’huîtres, de trimard, de marin au long cours, de pêcheur de rêves. Pas de doute, London est bien un écrivain politique.
Et puis finit par arriver le chef d’œuvre entre tous, le monumental Talon de fer. S’il n’en faut lire qu’un seul, que ce soit celui-là. London se fait visionnaire, à travers le regard d’une femme. Une fille de bourgeois, qui tombe en amour pour un militant enflammé. Et va le suivre, tout au long d’une histoire sans fin, où la révolution, la liberté et les droits les plus évidents se brisent sur toutes les oligarchies, tous les fascismes. En 1908, Le talon de Fer anticipe la Révolution russe, écrasée par une répression méthodique et fonctionnelle, née de l’alliance contre nature du capitalisme et des chefs syndicalistes, une répression qu’il fait durer 300 ans. Rien à jeter, disions-nous, et rien n’a changé, non plus. Les petits crèvent toujours écrasés par les talons de fer.
Il meurt à 40 ans, admiré de Lénine et de Trotski, ivre de mots, d’écriture, de passion. Il meurt comme meurt son héros, son double, Martin Eden. Il meurt, puisqu’il avait choisi d’être « un météore superbe plutôt qu’une planète endormie ».
Brigitte Blang