La crise qui sévit dans l’Union européenne ne cesse de s’aggraver. La politique d’austérité appliquée sur le continent accroit en effet son caractère structurel qui engendre tout à la fois une crise économique et sociale majeure et une crise écologique d’ampleur. En France, seul François Hollande prédit la reprise quand la courbe du chômage continue sa progression mortifère partout.
A l’image du SPD allemand, qui préfère soutenir un gouvernement de droite plutôt que de rechercher une majorité de gauche et écologiste au Bundestag, la social-démocratie européenne applique sans hésiter la même politique économique et sociale que les libéraux de droite. Ces deux forces sont les piliers jumeaux du néo-libéralisme. En France, François Hollande applique d’ailleurs sans sourciller une politique de droite. C’est vrai sur le plan économique avec le recul de l’âge de la retraite et le budget d’austérité le plus grave depuis la Libération, c’est vrai aussi pour les questions d’immigration. Manuel Valls pratique la politique du bouc émissaire en durcissant encore les discours et les mesures de discrimination et d’exclusion vis à vis des populations étrangères les plus fragilisées, à commencer par les Roms.
Cette politique légitime le discours du FN. Elle désoriente l’électorat de gauche qui a permis la défaite de Nicolas Sarkozy. Les législatives partielles et la cantonale de Brignoles l’ont montré : d’un côté, le FN sur la base d’une campagne à contenu national mobilise tout son électorat et profite de sa banalisation pour en gagner sur la droite, de l’autre, l’électorat de gauche ne se déplace plus. A ce compte-là, le pire n’est plus à exclure. Le FN peut très bien arriver au pouvoir dans les bagages d’une droite de plus en plus dominée idéologiquement par le parti de Marine Le Pen. L’alliance gouvernementale entre le Parti conservateur et le parti d’extrême droite du progrès en Norvège, crédibilise des issues de ce type en Europe.
Ce que le FDG écrivait à ce propos en janvier 2013 dans son document d’orientation « Imposer une Alternative à l’austérité » a donc, malheureusement, gagné encore en pertinence : « Face à la crise, une course de vitesse est engagée entre deux types de réponses possibles : l’une, démocratique et solidaire et l’autre, autoritaire et porteuse de profondes régressions sociales. ».
Nos conclusions du coup n’ont pas varié depuis : « Nous avons donc, en tant que Front de gauche, un rôle historique : rassembler pour construire une alternative de gauche rompant avec les logiques libérales et social-libérales. Cet objectif est non seulement un enjeu important pour la France mais aussi pour l’Europe. Car nous sommes persuadés que si la rupture intervient en notre faveur dans un pays, elle sera au moins aussi contagieuse que l’austérité que nous subissons tous ».
Les événements ayant confirmé notre analyse, l’heure est venue d’en tirer toutes les conséquences. Le Front de Gauche doit aborder les élections municipales et européennes dans la clarté. Il nous revient de proposer à notre peuple un autre choix à gauche que celui de la ligne social-libérale qui entraîne la gauche et notre pays dans le mur. Tout autre choix ne serait qu’aggraver la confusion. Le Front de Gauche ne doit donc être en rien assimilé à une soumission à la politique du gouvernement. Ni de près, ni de loin.
Cette préoccupation n’est pas nouvelle vis à vis du social-libéralisme. Elle a conduit le Front de Gauche à proposer des candidatures autonomes du FDG dans toutes les élections depuis les Européennes de 2009. Ce qui était nécessaire quand le PS était un parti d’opposition l’est évidemment encore plus lorsqu’il est le parti pivot d’une majorité soutenant un gouvernement qui applique une politique de droite. A l’inverse d’Europe Ecologie et malgré un mécontentement diffus de certains socialistes, rien n’indique en effet une prise de distance du parti socialiste en tant que tel avec le gouvernement. Au contraire, chaque réforme libérale voit la quasi-totalité de ses parlementaires voter comme un seul homme.
C’est pourquoi le Front de Gauche, pour permettre à la gauche de transformation sociale et écologique de donner sens et espoir dans cette période politique de grande confusion, doit proposer la même stratégie dans les élections municipales et européennes que seulement deux mois séparent. Là encore ce n’est pas nouveau. Toutes les organisations du Front de Gauche l’ont déjà dit ensemble en liant élections municipales et européennes dans notre texte stratégique. La dimension spécifiquement nationale des municipales était même clairement énoncée : « Nous voulons faire de cette élection et des prochaines municipalités des points d’appui pour refuser la logique austéritaire du gouvernement, l’asphyxie des collectivités (…) Municipales et Européennes peuvent ainsi constituer deux moments importants pour faire évoluer le débat et les rapports de force, la perspective d’une autre issue politique que la politique d’austérité aujourd’hui menée par le gouvernement Ayrault en France tout comme par l’Union européenne ».
Il est évident que la première élection nationale après celle de François Hollande sera dominée, du moins dans les grandes villes, par des enjeux nationaux à commencer par le bilan du gouvernement. La politique est toujours une question de rapport de force et le Front de Gauche ne peut sans grand dommage se dissoudre derrière une alliance avec une liste gouvernementale. Les candidats aux élections locales et par la suite les élus sont les premiers médiateurs de la chose politique auprès des citoyens. Il importe donc que leur positionnement soit clair pour incarner la ligne alternative du Front de Gauche, faute de quoi nous ne ferions qu’augmenter la confusion.
Tout autre choix ferait reculer le Front de Gauche en le rendant inaudible. C’est pourquoi nous regrettons que le PCF 75 ait choisi de rallier une liste gouvernementale plutôt que celle du Front de Gauche à Paris. Ce sera vrai d’autres grandes villes comme Rennes, ou Nantes, ville ô combien symbolique du 1er Ministre, et peut-être Toulouse. Le tout enrobé dans un discours stratégique officialisé par le secrétaire national du PCF qui revient à donner la priorité à un rassemblement de la gauche pour battre la droite et l’extrême droite. Dire cela c’est d’abord ignorer volontairement que la gauche ne peut pas être éliminée des seconds tours puisqu’il ne faut que 10% des suffrages exprimés pour pouvoir y participer. Ensuite, dans les villes concernées, le Front National ne sera pas un danger. Si au 2e tour des alliances seront le plus souvent nécessaires pour battre effectivement la droite et l’extrême droite, elles ne pourront se réaliser que sur la base du rapport de forces obtenu au premier tour devant le suffrage universel. Toute autre solution sera comprise, à juste titre, comme un ralliement, au mieux critique, au camp gouvernemental.
Nous affirmons ainsi que le Front de Gauche n’est pas seulement un cartel, il est avant tout défini par une démarche, une stratégie, qui dépasse les partis qui le composent. Voilà ce qu’a été le Front de Gauche, voilà ce qu’il doit rester. Et fort heureusement des listes relevant de cette démarche et pouvant ainsi revendiquer le label Front de Gauche seront présentes dans la quasi-totalité des villes françaises, dont bon nombre d’entre elles avec le PCF
Dès les municipales, le Front de Gauche doit également faire vivre dans le maximum de villes la majorité alternative qu’il appelle de ses vœux en réunissant toutes les forces et personnalités, y compris des partis de la majorité gouvernementale, qui acceptent de refuser la politique d’austérité menée par le gouvernement. Vis-à-vis de ces partenaires potentiels ce positionnement sans ambiguïté est donc là aussi essentiel. Plusieurs listes de rassemblement entre le FDG et EE-LV vont déjà dans ce sens, il nous appartient d’en favoriser partout le plus grand nombre y compris avec les socialistes critiques ou encore le NPA. C’est le sens de la démarche de rassemblement à laquelle le texte stratégique du Front de Gauche faisait référence. Il ne s’agit pas de se rassembler derrière le parti socialiste mais d’être le pivot d’un rassemblement d’une autre nature, porteur d’un autre projet qui assume sa divergence et la concurrence avec la ligne sociale-libérale du PS.
Le Parti de Gauche appelle donc à être fidèle au document stratégique élaboré par le Front de Gauche et en tirer toutes les conclusions pour les municipales. De même il doit en profiter pour renouer avec le texte sur le fonctionnement du Front de Gauche qui l’accompagnait et intitulé « le développement du Front de Gauche ». Car Municipales et Européennes sont de formidables campagnes politiques pour relancer l’émergence d’un Front du peuple. Cela passe par l’implication citoyenne qui est au cœur. Là encore, ensemble, nous avions vu juste : « Cela revient à poser la question de l’utilité du FDG. C’est donc d’abord une réponse politique : la nécessité d’une stratégie claire, d’initiatives concrètes, de bonnes campagnes, du soutien aux mobilisations et, de notre progression dans l’ancrage de nos idées et à travers les élections » écrivions-nous. Parce que les Municipales constitueront la première « initiative concrète », nous appelons à en profiter pour relancer des assemblées citoyennes les plus ouvertes possibles, y compris sous forme d’adhésions directes, pour soutenir et faire la campagne de nos listes autonomes. C’est le plus sûr moyen de rassembler sans œillères, le peuple de gauche dans le refus du libéralisme et du social libéralisme. Nous pourrions avoir l’occasion de porter nationalement ce grand mouvement avec l’organisation avant les municipales d’une Convention nationale, prévue également dans notre texte fonctionnement, des représentants de toutes les listes Front de Gauche donc autonomes des listes gouvernementales. Voilà qui serait le meilleur moyen d’ouvrir largement les portes du Front de Gauche. Ce serait aussi une bonne façon de préparer la mobilisation finale pour les Municipales. Dans la foulée le même dispositif citoyen et rassembleur appuiera nos listes aux Européennes qui doivent plus que jamais être l’élection où nous ambitionnons de prendre la tête de la gauche.
Eric Coquerel, Secrétaire national du Parti de Gauche