Mercredi 18 Septembre, le collectif du Front de Gauche de Vauvert avait invité Edouard Chaulet, maire de Barjac et conseiller général du Gard, à débattre de l’expérience menée dans sa commune en matière de restauration scolaire bio.
Voilà le texte introductif de David Authelain, co-secrétaire PG 30 Sud :
Loin de moi l’idée de définir maintenant ce qu’est l’agriculture bio. Je laisserai ceux dont c’est le métier nous en parler tout à l’heure. Mais on ne peut aborder ce débat sans se replonger dans une relecture très rapide de l’histoire récente de notre agriculture.
Jean-Paul Jaud, le réalisateur de « Nos enfants nous accuseront », a dit lors d’un débat qu’ « avant 1945, avant que l’industrie des pesticides de synthèse ne prenne le pouvoir en France (et ailleurs), avant que sous le prétexte fallacieux de nourrir la planète, l’agriculture française ne soit dévoyée par le productivisme, l’agriculture était intrinsèquement bio ».
C’est vrai, si l’on limite la définition du bio à une agriculture qui n’utilise pas de pesticide et d’engrais de synthèse. Carrefour et d’autres multinationales vendent des produits estampillés bio : ils respectent un cahier des charges certes contraignant, mais uniquement lié à une définition technique du bio. Mais tâchons d’interroger ce modèle…
Pourquoi faut-il amender les sols, c’est à dire les enrichir ? Pour obtenir le meilleur rendement de la terre que l’on exploite.
Et pourquoi faut-il en tirer le meilleur rendement ? Officiellement, pour nourrir la planète.
Est-ce le cas ? Parvient-on aujourd’hui à nourrir la planète ?
Le constat est accablant : malgré un développement sans précédent des techniques, connaissances, moyens, le nombre de mal-nutris n’a pas baissé depuis un demi-siècle, alors que le nombre de malades d’une mauvaise alimentation ou suralimentation a explosé, et ce dans tous les pays du monde. Si tel était l’objectif, alors, on il n’a pas été atteint.
En réalité, si chaque année il faut enrichir et traiter, c’est parce que les rendements ne cessent de diminuer. Globalement, pour une surface donnée, les sols produisent de moins en moins ; ils rapportent donc moins. Est-ce un problème récent ?
Depuis le XIXème siècle, le problème de la diminution de la fertilité des sols par la perte de leurs nutriments est un problème récurent. La conséquence directe a été une augmentation phénoménale de la demande d’engrais : à l’époque, en Angleterre, ce sont les ossements, puis, une fois cette ressource épuisée, le guano péruvien.
L’Angleterre pillera tous les champs de bataille et les diverses catacombes pour augmenter la fertilité de ses champs. Le premier bateau chargé de guano péruvien débarquera à Liverpool en 1835 ; en 1841 ce sera 1700 tonnes de guano qui seront importées et en 1847, 220 000 tonnes (qui a dit que les problèmes liés à une économie mondialisée étaient d’aujourd’hui ?).
Mais pourquoi cette baisse de la fertilité des sols au XIXème siècle ? Que se passe-t-il au XIXème ?
La révolution industrielle, elle-même liée à l’avènement du capitalisme et du libéralisme, s’accompagne d’une révolution agricole, qui donne naissance au modèle intensif et productiviste que malheureusement nous connaissons aujourd’hui encore. Et dont nous subissons encore les conséquences.
A l’époque, se met en place un système qui a pour conséquence qu’il pouvait y avoir des centaines, voire des milliers (aux US) de km entre les centres de production et leurs marchés. Certaines personnalités de l’époque (Liebig, scientifique, ou Carrey, économiste, entre autres) font remarquer que les éléments constitutifs du sol sont envoyés dans des lieux très éloignés de leur lieu d’origine, ce qui, selon eux, rend impossible le principe de restitution : rendre au champ ce qu’on lui a pris. En effet, ils affirment qu’« un champ auquel on prend de façon permanente, ne peut en aucun cas maintenir ou augmenter sa puissance productive. » Liebig soutiendra qu’un système urbain et agricole rationnel devait nécessairement passer par la restitution à la terre des nutriments contenus dans le sol.
Karl Marx, à la même époque, s’appuyant sur les travaux de Liebig, parlera de la rupture métabolique entre les êtres humains et la terre. C’est selon lui le « développement de l’agriculture à grande échelle, et du commerce sur de longues distances, dans le cadre du capitalisme, qui provoque et aggrave cette rupture métabolique, l’appauvrissement des sols, le gâchis des nutriments, ayant pour contrepartie le développement de la pollution et des déchets urbains».
Produire au plus près des lieux de consommation, ne pas soumettre l’agriculture au marché, lier les problèmes de pollution urbaine à ce modèle : tout ou à peu près est dit dès 1850. Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, notre alimentation est responsable de 30% des émissions de gaz à effet de serre… nous exportons des poulets subventionnés en Afrique… nous confions la gestion de nos déchets à des multinationales… nous connaissons la plus grande destruction de la biodiversité depuis l’extinction des dinosaures, et notre modèle agricole dominant porte sa part de responsabilités : les dégâts de l’agriculture intensive, à la fois sur la santé, l’environnement et la biodiversité ne sont plus à démontrer aujourd’hui.
Nourrir nos enfants avec du bio, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. A qui devons-nous confier la production de ce que nous mangeons ? Où cela doit-il être produit ?
Comment sortir de cette impuissance programmée, qui fait dire à tant de gens : ce n’est pas possible ? On ne peut pas le faire… Il y a trop d’obstacles. L’Europe, puis bientôt, le GMT…
Toutes ces questions, nous avons souhaité les poser dans le cadre de la préparation des municipales. En effet, l’échelon communal peut et doit être un lieu d’expérimentation et de mise en place de ce que nous appelons la planification écologique, et du renouveau démocratique.
Il existe de nombreux exemples autour de nous, qui montrent que lorsqu’une volonté politique se couple à l’intégration des citoyens et des usagers, alors bien des choses deviennent possibles. Barjac, en est un exemple parmi d’autres.
Ensemble, nous pouvons relever la tête, nous mettre au travail, et retrouver l’espoir. L’espoir à minima (puisqu’aujourd’hui, quand on rêve, on rêve à minima), de transmettre à nos enfants et aux générations futures un monde dans lequel ils auront le choix de leur avenir et de leur destinée. Notre écosystème est unique : si nous ne stoppons pas ce qui est en cours actuellement, à savoir sa destruction méthodique et programmée, quel choix leur restera-t-il ? Erosion des sols, disparition des variétés de semences et de bétail, perte de la biodiversité, ressources en eaux polluées, changement climatique… voilà la réalité de l’héritage que nous nous préparons à léguer aux générations futures.
Alors, peut-on, à l’échelle de la commune, reprendre la main sur l’alimentation de nos enfants, sur la façon dont on la produit ? Et proposer ainsi des réponses concrètes aux défis de demain ? Voilà la question posée ce soir à l’occasion de ce débat.
Ce qui s’est dit lors du débat :
Difficile de résumer un débat de deux heures en quelques lignes. Retenons les idées décisives.
Devant un auditoire de plus de 60 personnes, notre invité s’est efforcé de décrire sa démarche : « le bio, qui apporte beaucoup de réponses en matière de santé, d’environnement et d’emploi durable, n’a de sens que s’il est local » a-t-il insisté. Les paysans bio de Vauvert, qui avaient répondu favorablement à l’invitation du Front de Gauche, ne l’ont pas contredit. Ils ont complété son propos par l’absolue nécessité d’une volonté politique, au sein des mairies ou des conseils généraux, pour à la fois préserver le foncier agricole autour des villes (lutter contre la spéculation), mais aussi en favoriser l’accès aux jeunes paysans désireux de s’installer dans ce modèle d’agriculture respectueux de l’environnement et du vivant. Malheureusement, force est de constater que cette volonté politique fait souvent défaut au sein de nos institutions.
Pourtant, bien des exemples autour de nous montrent ce que la volonté politique permet de mettre en œuvre :
– aider les agriculteurs désireux de passer d’un mode de production dit conventionnel à un mode de production biologique. Cette certification qui s’obtient auprès d’organismes indépendants a un coût. Les municipalités peuvent aider les fermiers en prenant en charge ce surcoût pendant un temps prédéfini.
– orienter le PLU (Plan Local d’Urbanisme) sur du long terme, en définissant des zones agricoles ayant vocation à le rester longtemps. Ceci présente l’avantage de limiter la spéculation (les terres ne passeront pas constructibles avant un temps défini, donc les propriétaires de terres agricoles ne les gardent pas « sous le coude », en attendant le passage en constructible) et de limiter l’étalement urbain, à la fois destructeur de terres vivrières et source de spéculation.
– travailler en lien avec des associations telles que Terre de Lien pour aider les paysans désireux de s’installer mais qui se heurtent à la difficulté de l’accès au foncier. Cette association, qui repose sur des financements citoyens (chacun d’entre nous peut décider d’y « investir »), rachète des terres agricoles, les met à disposition de fermiers contre rémunération modérée, avec l’engagement pour le paysan de respecter certains critères de production.
– passer en régie publique pour la production et la transformation des aliments à destination des restaurants scolaires. Ainsi, l’exemple de Mouans- Sartoux (O6), ouvre une voie dont nous devons savoir nous inspirer.
Bref, la volonté politique permet bien, même à l’échelon communal, de sortir de cette impuissance programmée, de reprendre la main sur notre destinée, et d’opposer à la logique destructrice du néolibéralisme une vision de l’avenir porteuse d’espoir, pour nous et les générations à venir.
Si eux ne savent pas, nous, on peut !
1 Commentaire
BORG
3 octobre 2013 à 10 h 20 min (UTC 1) Lier vers ce commentaire
Bravo. Bon commentaire.
Les grandes surfaces sabotent le déploiement du bio : comparer leurs étiquettes bio – non bio ets édifiant.
Voir aussi le site : http://www.web-agri.fr/actualite-agricole/economie-social/article/la-mise-aux-normes-des-elevages-a-plombe-la-filiere-francaise-1142-89219.html
qui démontre que l’EU déjà favorable à tout ce qui est industriel veut du mal aux « fabricants de volailles, oeufs français »
Il est anormal que se nourrir convenablement soit une revendication.
A. BORG LE VIGAN
PS : si les 5 personnes qui se sont déjà exprimées sur FACE BOOK veulent me joindre : je suis contre les réseaux dits « sociaux » d’internet. Ai-je tord ?