L’impunité des puissants est l’un des traits les plus détestables du régime sous lequel nous vivons. Il n’en est pas de meilleure illustration que la mansuétude qui entoure les fraudeurs du fisc. Quel autre délit aurait valu à Jean-Claude Juncker un visa pour la présidence de la Commission Européenne ? En France, les affaires Cahuzac et Thévenoud montrent ce que cette mansuétude doit à l’entre soi entre dirigeants politiques et représentants de la haute-bourgeoisie, où la dissimulation fiscale est cultivée comme une marque de bonne gestion. Le dîner Jouyet-Fillon en apporte la manifestation éclatante à ceux qui l’ignoreraient. Témoignent aussi de cet alignement de classe le culte qui a été rendu post-mortem à Christophe de Margerie, patron de Total, et parallèlement, à la répression disproportionnée dont les instances du PS menacent ce pauvre Gérard Filoche, coupable d’une affirmation divergente.
Toujours est-il qu’à l’heure où le discours néo-libéral dominant veut tout renvoyer à la responsabilité individuelle, l’impunité est devenue l’un des privilèges des pseudos élites qui exercent le pouvoir. Cette spécificité a aussi sa racine institutionnelle. Le personnage le plus important de la Constitution de la cinquième République est celui dont l’irresponsabilité est totale. Ce qui explique la fraîcheur avec laquelle est accueillie par les membres de la Caste notre proposition de révocabilité du président de la République, quels que soient les sentiments que celui-ci leur inspire. L’impunité repose aussi sur la protection mutuelle.
A l’instar de la fraude fiscale, qui érode aussi bien les recettes de l’Etat que le consentement à l’impôt, qui détruit la solidarité européenne à l’heure où celle-ci serait nécessaire, l’impunité des puissants exerce de profonds effets dissolvants. Diffusé à tous les échelons de la chaîne du pouvoir, jusqu’au niveau local, ce sentiment contrebat le sens civique des élus, ce qu’autrefois on appelait la vertu. Cet abaissement généralisé est la marque d’un système à bout de légitimité. L’impunité des puissants appelle la colère, pas toujours discernante, du peuple.
François Delapierre
Secrétaire national du Parti de Gauche