Tunis, le 7 septembre 2013 Une délégation composée des deux co-présidents Jean-Luc Mélenchon et Martine Billard, Alain Billon, Sakina Faouzi, Laurent Maffeïs et Boris Bila est en Tunisie depuis hier pour affirmer la solidarité du Parti de Gauche avec la révolution tunisienne. C’est un moment de grands bouleversements que vit le pays. Pour la première fois depuis 1948, le mouvement ouvrier et le patronat sont en effet alliés de circonstance pour empêcher le gouvernement islamiste d’Ennahda de prendre le contrôle sur le pays et d’imposer un ordre autoritaire. En un temps politique extrêmement court, ce sont deux des nôtres, élus du peuple, qui ont été assassinés pour leur engagement politique. En février dernier Chokri Belaid, représentant du Watad etait tombé sous les balles de tireurs anonymes. Il y a quarante jours, ce fut au tour de Mohamed Brahmi d’être assassiné devant chez lui. Brahmi était à la tête du Courant populaire, autre force faisant parti du Front populaire, rassemblement de plusieurs partis de la gauche révolutionnaire tunisienne. Cet homme à lui tout seul défiait l’idée qu’Ennahda veut imposer, selon laquelle ce serait eux ou la gauche anti-religieuse. En effet, il n’hésitait pas à assumer sa piété tout en se revendiquant clairement du socialisme.
Alors que l’Assemblée Nationale Constituante aurait dû achever son travail il y a prés d’un an, permettant ainsi au peuple tunisien de se doter d’une nouvelle Constitution et de choisir de nouveaux représentants au travers d’élections libres, le processus est enlisé et le gouvernement en profite pour attribuer à ses partisans nombre de postes stratégiques de l’appareil d’Etat. C’est cette situation qui a amené l’ensemble de l’opposition (gauche de transformation sociale et bourgeoisie libérale) à se rassembler au sein du Front du Salut National et à lancer la campagne « Dégage ».
Notre voyage de soutien à nos camarades a naturellement débuté par un moment de recueillement sur les tombes de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, dont la mort nous rappelle violemment le sens de l’engagement politique et les risques encourus dans des pays en plein processus de révolution. Leurs camarades, que nous avons plus tard rencontrés pour une réunion de travail nous ont appris que bien que la peine soit immense, la seule chose à faire était de continuer à combattre pour la démocratie, le progrès social et la liberté, en exigeant du gouvernement qu’il démissionne et laisse le soin de déterminer un agenda électoral à un gouvernement d’experts représentatifs de l’ensemble de la société.
Dans la maison de Mohamed Brahmi, où sa veuve nous a invités juste après l’inauguration d’une rue à son nom, son frère nous a longuement parlé de lui et de ses combats. Ce qu’il en ressort est l’intégrité de cet homme qui s’est toujours appliqué à défendre les principes auxquels il croyait comme lorsqu’il s’est mis en grève de la faim pour défendre les habitants d’un petit village dont le sort n’intéressait personne. Cette expression de la politique comme d’une lutte incessante au profit de ce qui est juste guide ses camarades, par exemple lorsqu’ils refusent à la fois toute ingérence étrangère dans les affaires du pays et le terrorisme, qui tue les leurs. Cet état d’esprit a également animé la rencontre que nous avons eue avec les principaux représentants du Front populaire, dont Hamma Hammami, en quête de solutions politiques pour la révolution citoyenne en Tunisie. Loin de souhaiter une éradication du parti islamiste qui serait le mal en soi, ils analysent la situation présente comme une menace grave qui pèse sur l’ensemble du peuple, en raison du chômage en hausse, des prix qui augmentent, et du gouvernement qui s’applique à limiter les libertés et livrer les institutions du pays au parti Ennahda. Les acquis du processus révolutionnaire de 2011 sont très fragiles et c’est la démocratie elle-même qui est en péril. Le Front Populaire cherche donc à encourager un processus de révolution citoyenne, qui devra passer par de nouvelles élections, maintenant que le gouvernement islamiste a fait la preuve de son inefficacité à répondre aux principales revendications du peuple qui s’était soulevé contre le dictateur Ben Ali. Et pour nos camarades, cela passe par une alliance au sein du Front du Salut National, comparé par certains à ce qu’a pu être le Conseil National de la Résistance en France, qui grâce au rapport de force interne créé par les communistes, nous a permis de mettre en œuvre de très grandes avancées sociales dans notre pays
Le peuple lui-même est moteur de cette révolution, comme le montre le formidable soulèvement pacifique de Siliana dont nous ont parlé les camarades du Front Populaire, où des milliers de personnes ont littéralement déserté leurs maisons, en disant au gouvernorat d’Ennahda « gouvernez les montagnes et les pierres, on vous les laisse ». Cette mobilisation a permis la nomination d’une femme de l’opposition à la place d’Ennahda, ce qui nous laisse penser que la mobilisation populaire et citoyenne porte les plus grands espoirs de changement.
Sakina Faouzi