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Interdire les groupes d’extrême-droite : c’est possible !

Depuis octobre 2012 le ministre de l’intérieur Manuel Valls affirme qu’il « étudie l’interdiction » de groupes d’extrême droite. 9 mois après, alors que les violences de ces groupes se multiplient, jusqu’à la mort du militant antifasciste et syndicaliste étudiant Clément Méric, aucune interdiction n’a pour l’instant été prononcée. Pourtant la loi permettant d’interdire ces groupes existe et est facilement applicable comme en attestent les interdictions prononcées par le passé.

I. Des bases solides pour interdire : la loi du 10 janvier 1936 reprise dans le code de la sécurité intérieure

Depuis la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées le président de la République a la possibilité de dissoudre certains groupes présents sur le territoire français.

La dissolution est prononcée par décret du président de la République en conseil des ministres. Elle peut être contestée devant le Conseil d’État, qui peut l’annuler par un arrêt.

Les possibilités d’interdiction de groupes armés ou menaçant l’intégrité du territoire ou la forme républicaine du gouvernement ont été étendues par la loi Pléven de 1972 contre le racisme. Cette loi y a ajouté la possibilité d’interdire des groupes tendant « soit provoquer à, soit propager des idées ou théories tendant à justifier ou encourager la discrimination et le racisme. »

La loi du 10 janvier 1936 modifiée a été intégrée depuis mars 2012 dans le code de la sécurité intérieure[1] à son article L. 212-1.[2]

L’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure

« Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :

1° Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ;
2° Ou qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;
3° Ou qui ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;
4° Ou dont l’activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ;
5° Ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ;
6° Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;
7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger.

Le maintien ou la reconstitution d’une association ou d’un groupement dissous en application du présent article, ou l’organisation de ce maintien ou de cette reconstitution, ainsi que l’organisation d’un groupe de combat sont réprimées dans les conditions prévues par la section 4 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal. »

Le point 6° offre une base solide pour interdire les groupes d’extrême droite qui diffusent régulièrement des thèses racistes.

II. Plusieurs exemples de dissolutions récentes montrent qu’il est possible d’interdire rapidement et efficacement les groupes d’extrême droite

Contrairement à ce qu’expliquent certains médias la dissolution d’un groupe est un outil efficace pour stopper son action et celle de ses membres, ou en tout cas sérieusement la compromettre. Interdit, un groupement verra ses comptes en banque fermés, toutes les autorisations qui lui étaient accordées retirées, ses publications stoppées, tous les contrats qu’il avait signé rompus. Et toute tentative de reconstitution étant punie pénalement, l’interdiction permettrait de porter un rude coup démocratique aux groupes d’extrême droite.

a) Unité radicale

Le groupuscule d’extrême-droite Unité radicale (celui de Maxime Brunerie) a été dissous par un décret du 6 août 2002.[3] L’exposé des motifs est très intéressant, car il s’appliquerait très bien à plusieurs autres groupes d’extrême droite.

Considérant que l’article 1er (6°) de la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées dispose que seront dissous toutes les associations ou groupements de fait qui « soit provoqueraient à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propageraient des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence » ;

Considérant que le groupement de fait « Unité radicale » propage, dans ses publications, intitulées Résistance ! et Jeune Résistance, ainsi que lors des rassemblements qu’il organise, des idées tendant à encourager la discrimination, la haine et la violence à l’égard de certains groupes de personnes, notamment des étrangers présents sur le territoire français et des Français issus de l’immigration ; qu’il prône également l’antisémitisme ;

Considérant que, pour des raisons inhérentes aux nécessités de l’ordre public, il convient de réprimer les manifestations d’une idéologie raciste et discriminatoire ;

Considérant que la poursuite des activités du groupement de fait « Unité radicale » contribue à de telles manifestations ; qu’il y a lieu, en conséquence, d’en prononcer la dissolution ;

b) Elsass Korps

Le groupuscule néonazi alsacien Elsass Korps a été dissous par un décret du 19 mai 2005[4], toujours sur la base du point 6°. Là aussi, l’exposé des motifs est intéressant :

Considérant que le groupement de fait « Elsass Korps » se livre à la propagation d’idées et de théories tendant à justifier et à encourager la discrimination, la haine et la violence raciales et religieuses, notamment en organisant des rassemblements au cours desquels sont exaltées l’idéologie nazie et des idées racistes et antisémites, et en propageant cette idéologie et ces idées dans des publications ;

Considérant que, pour des raisons inhérentes aux nécessités de l’ordre public, il convient de réprimer toute résurgence de l’idéologie nazie et tout encouragement au racisme et à l’antisémitisme ;

c) Tribu Ka (puis Jeunesse Kémi Séba)

Le groupe suprémaciste noir Tribu Ka a été dissous par un décret du 28 juillet 2006[5]. Là encore, on peut s’inspirer de l’exposé des motifs :

Considérant que le groupement de fait « Tribu Ka », à travers ses communiqués de presse, les publications sur son site internet et les déclarations de ses responsables, se livre à la propagation d’idées et de théories tendant à justifier et à encourager la discrimination, la haine et la violence raciales, notamment à l’encontre des personnes qui ne sont pas de couleur noire ; qu’il prône également l’antisémitisme et qu’il a organisé des actions menaçantes à l’égard de personnes de confession juive ;

Considérant que, pour des raisons inhérentes aux nécessités de l’ordre public, il convient de réprimer les manifestations d’une idéologie raciste et discriminatoire, ainsi que tout encouragement à l’antisémitisme ;

Deux observations :

Premièrement, d’un point de vue jurisprudentiel, notons que le recours de Tribu Ka devant le Conseil d’Etat a abouti à la confirmation de la dissolution, le Conseil d’Etat ayant, dans un arrêt du 17 novembre 2006, approuvé ce décret d’avoir relevé que la Tribu Ka « se livre à la propagation d’idées et de théories tendant à justifier et à encourager la discrimination, la haine et la violence raciales, notamment à l’encontre des personnes qui ne sont pas de couleur noire, qu’il prône également l’antisémitisme et qu’il a organisé des actions menaçantes à l’égard de personnes de confession juive » et estimant qu’elle a « provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence envers des personnes à raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée, et propagé des idées ou théories à caractère raciste et antisémite ». C’est la preuve que si le décret de dissolution est bien référencé juridiquement et fondé sur des éléments factuels avérés, la dissolution peut passer sans difficulté l’obstacle d’un éventuel recours contentieux devant le CE.

Deuxièmement, à la suite de la dissolution de Tribu Ka, son fondateur, Kémi Séba, a créé le mouvement génération Kémi Séba. Cela lui a valu une condamnation à six mois de prison, dont deux fermes, ainsi qu’à un an de privation des droits civiques, pour « reconstitution de ligue dissoute ». En outre, sa nouvelle organisation a, elle aussi, été dissoute, par un décret du 15 juillet 2009.[6]

d) Forzane Alima

Dernier exemple en date, dans le contexte post-affaire Mérah, le groupe islamiste radical Forzane Alima a été dissous par un décret du 1er mars 2012.[7] Là, c’est pour des motifs un peu différents, fondés sur les critères n°2 (organisations paramilitaires, groupes de combat et milices privées) et n°3 (ayant pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement).

 


[1] http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=4555064C5A8EA3E76AFC072AB45E88CC.tpdjo17v_2?cidTexte=JORFTEXT000025498645&dateTexte=20120313
[2]http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=4555064C5A8EA3E76AFC072AB45E88CC.tpdjo17v_2?cidTexte=LEGITEXT000025503132&idArticle=LEGIARTI000025505191&dateTexte=&categorieLien=cid
[3] http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000408605
[4] http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000808267
[5] http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000607539
[6] http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020857003
[7] http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025423089