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Quelle stratégie européenne pour les retraites ?

Rapport Oomen-Ruijten (PPE) A7-0137/2013 (non législatif, initiative du Parlement)

                         De quoi parle-t-on ?

Ce rapport d’initiative parlementaire porte sur les systèmes de retraites.
Le système de retraite est une compétence qui ne relève normalement pas de l’Union européenne mais seulement des Etats-membres. Le rapport le rappelle d’ailleurs dans son point n°28 « les pensions restent de la compétence des Etats membres ».
Pour les technocrates et les libéraux européens, les systèmes de retraites se décomposent en trois « piliers » :

– le premier pilier correspond aux régimes de bases, publics ou parapublics
– le second pilier correspond aux régimes complémentaires collectifs obligatoires comme Agirc et l’Arrco en France
– le troisième pilier correspond aux mécanismes individuels notamment les assurances privées.

 Que propose le rapport Oomen-Ruijten

• Positif

Le rapport considère que « dans l’actuel débat au niveau européen, les régimes de retraite sont trop souvent considérés comme un simple fardeau sur les finances publiques, au lieu d’être considérés comme un instrument essentiel pour lutter contre la pauvreté des personnes âgées et pour permettre une redistribution au cours de la vie de l’individu et dans la société »

Le rapport insiste sur le rôle de l’augmentation du chômage dans l’affaiblissement des régimes solidaires et leur financement mais aussi pour les droits des futurs retraités : il « insiste sur le risque du chômage et du travail peu rémunéré, à temps partiel et des emplois atypiques, qui permettent seulement d’acquérir des droits à pension partiels, favorisant ainsi la pauvreté des personnes âgées »

Il insiste aussi fortement sur les inégalités entre hommes et femmes tout au long de la carrière et leurs conséquences en matière d’inégalité devant les droits à la retraite :
– « rappelle le défi de genre en matière de pensions; juge alarmante l’augmentation du nombre des personnes âgées qui vivent sous le seuil de pauvreté, surtout des femmes; insiste sur l’idée que l’égalité de genre sur le marché du travail est essentielle pour assurer la viabilité des régimes de retraite, car des taux d’emploi plus élevés améliorent la croissance et permettent de payer davantage de primes de pension; estime que l’égalisation de l’âge de départ à la retraite entre les femmes et les hommes doit s’accompagner de politiques efficaces afin d’assurer le respect du principe « à travail égal, salaire égal », et de la conciliation entre la vie professionnelle et les soins aux personnes dépendantes »
– « exhorte les États membres à respecter et à faire respecter la législation sur les droits liés à la maternité, de manière à ce que les femmes ne se trouvent pas lésées sur le plan des retraites parce qu’elles ont été mères au cours de leur carrière professionnelle »

Le rapport semble parfois nuancer un petit peu ses appels au développement de la capitalisation et des systèmes individuels:
– « il conviendra de constituer des pensions professionnelles complémentaires par capitalisation, tout en accordant la priorité à la sauvegarde des pensions publiques universelles qui assurent au minimum un niveau de vie digne pour toutes les personnes âgées »
– « souligne que la priorité essentielle de la politique publique ne devrait pas être de subventionner les régimes du troisième pilier, mais de veiller à ce que chacun bénéficie d’une protection adéquate dans le cadre d’un premier pilier qui fonctionne bien et qui soit viable »
– « souligne toutefois que la Commission devrait plutôt recommander des épargnes-retraite professionnelles collectives, complémentaires fondées sur la solidarité, de préférence résultant d’accords collectifs et établies aux niveaux de l’État, du secteur ou de l’entreprise, car elles créent une solidarité au sein des générations et entre elles, contrairement aux systèmes individuels »

Le rapport reconnaît que les systèmes collectifs et non-lucratifs coûte moins chers : « insiste sur les faibles coûts de gestion des régimes de retraite (sectoriels) collectifs professionnels (de préférence sans but lucratif), comparés aux systèmes d’épargne-retraite individuels »

• Négatif

Le rapport :appelle à développer les régimes de retraites par capitalisation :
– « se réjouit de l’appel lancé dans le livre blanc pour le développement de retraites par capitalisation et de retraites professionnelles complémentaires accessibles à tous les travailleurs concernés et, si possible, des systèmes individuels »
– « souligne le risque d’un scénario économique marqué à long terme par une faible croissance, qui exigerait que la plupart des États membres assainissent leurs budgets et réforment leurs économies en étant rigoureux dans la gestion des finances publiques; partage dès lors le point de vue exprimé par la Commission dans son livre blanc selon lequel il conviendra de constituer des pensions professionnelles complémentaires par capitalisation »
– « recommande d’instaurer une approche de retraite « multiplier », consistant en une combinaison :
– i. d’un système universel de retraite public par répartition;
– ii. de retraites professionnelles complémentaires par capitalisation résultant d’accords collectifs établis aux niveaux de l’État, du secteur ou de l’entreprise, ou résultant d’une législation nationale, accessible à tous les travailleurs concernés; à compléter, si possible, par :
– iii. une retraite individuelle relevant du troisième pilier et basée sur une épargne privée;
– demande à la Commission de veiller à ce que toute réglementation existante ou future en matière de retraite favorise cette approche et s’y conforme entièrement »
– Le rapport pousse même jusqu’à vouloir faire des chercheurs des cobayes en « s’interrogeant sur la nécessité d’un fonds de pension européen pour les chercheurs »

Le rapport assimile régimes par répartition et par capitalisation : « considérant que la hausse du chômage et des rendements décevants des marchés financiers ont mis à mal les régimes de retraite par répartition et les systèmes financés par capitalisation »

Le rapport appelle à allonger la durée de cotisations pour pouvoir bénéficier du régime de retraite de base :
– « invite les États membres à évaluer soigneusement la nécessité de mettre en œuvre les réformes de leurs systèmes du premier pilier, en tenant compte de l’évolution de l’espérance de vie »
– « est d’avis qu’il est primordial de parvenir à un consensus entre les gouvernements et les partenaires sociaux afin de trouver une solution au défi des retraites, en tenant compte de la nécessité dans la plupart des États membres, d’augmenter le nombre d’années de contributions »

Le rapport appelle au développement de système de retraites individuels : « encourage la Commission à coopérer avec les États membres en se fondant sur les bonnes pratiques et à évaluer et optimiser les mesures d’incitation à l’épargne-retraite privée » même s’il « souligne que la priorité essentielle de la politique publique ne devrait pas être de subventionner les régimes du troisième pilier, mais de veiller à ce que chacun bénéficie d’une protection adéquate dans le cadre d’un premier pilier qui fonctionne bien et qui soit viable »

Le rapport pourrait menacer l’existence du système de pension de réversion : « considère que l’individualisation des droits à pension est indispensable du point de vue de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, mais estime néanmoins qu’il convient de préserver la sécurité de nombreuses femmes âgées qui sont dépendantes des pensions de veuves et d’autres droits dérivés »

Enfin, le rapport appelle à « financer la recherche relative aux incidences des différentes formules d’indexation des retraites sur le risque de pauvreté à un âge avancé ». C’est une provocation. Tout le monde sait que, en France, le passage d’une indexation sur les salaires à une indexation sur les prix a entraîné un décrochage des pensions par rapport aux salaires et un appauvrissement des retraités.

• Discutable

Le rapport souligne la nécessité d’augmenter le taux d’emploi et les conditions de travail des « seniors ». C’est positif pour éviter que les salariés voient leur retraite amputée par le chômage ou leur fin de carrière rendue insupportable. Mais la solution la plus efficace consisterait à abaisser l’âge de départ à la retraite plutôt que de vouloir à tout prix maintenir des « seniors » au travail.

Or toutes ces remarques visent en fait à rendre « acceptable » le fait de devoir travailler plus longtemps : « souligne la nécessité de renforcer la prévention et la promotion de la santé, et la formation professionnelle et de lutter contre les discriminations sur le marché du travail des travailleurs plus jeunes ou plus âgés; souligne la nécessité du respect et de la bonne application de la législation sur la santé et la sécurité au travail à cet égard; souligne que des programmes de parrainage ou de tutorat pourraient être une bonne approche pour maintenir plus longtemps les travailleurs âgés dans la vie active et mettre à profit leur expérience pour l’intégration des jeunes sur le marché du travail; demande aux partenaires sociaux d’élaborer des formules attractives pour favoriser un passage en souplesse de la vie professionnelle à la retraite »

Le rapport « signale toutefois que, dans de nombreux États membres, la priorité devrait consister à adapter l’âge de départ de facto à l’âge légal de départ à la retraite ». Il mentionne la situation de nombreux salariés âgés qui se retrouvent au chômage sans pouvoir partir à la retraite mais il n’appelle pas pour autant à revenir sur le relèvement de l’âge légal.

Tout en appelant à développer les régimes complémentaires par capitalisation, le rapport est obligé de reconnaître qu’il est souhaitable que ces régimes, ou au moins une partie, ne soient pas gérées ni considérées comme des assurances privées car certains systèmes sont des systèmes non-lucratifs et doivent être gérés à long terme.

– La question des règles prudentielles est notamment évoquée : le rapport « met en évidence les différences fondamentales entre les produits d’assurance et les institutions de retraite professionnelle; souligne que toute application directe des exigences quantitatives de la directive « Solvabilité II » aux institutions de retraite professionnelle serait inadéquate et pourrait même compromettre les intérêts des salariés comme des employeurs; s’oppose donc à l’application aveugle d’exigences du type « Solvabilité II » aux institutions de retraite professionnelle, tout en restant disposé à examiner une méthode visant à la sécurité et à la durabilité »
– « indique que l’idée de mettre en place des conditions de concurrence équitables entre les assurances-vie et les institutions de retraite professionnelle n’est pertinente que dans une certaine mesure, étant donné les différences fondamentales existant entre les produits d’assurance et les institutions de retraite professionnelle et selon le profil de risque, le degré d’intégration au marché financier et le caractère à but lucratif ou non de chaque prestataire »

Enfin, le rapport exige une « étude » sur le « le développement des crédits d’assistance, c’est-à-dire, la comptabilisation dans le calcul de la retraite des périodes pour la prise en charge de personnes dépendantes pour les femmes et les hommes »Si ces crédits pourraient permettre de ne pas pénaliser les salariés qui interrompent leur activité professionnelle pour s’occuper d’un proche, il faudra veiller à ce qu’ils ne reviennent pas à subventionner la prise en charge des personnes dépendantes par les seules familles, voire par les seules femmes.

Jean Luc Mélenchon a voté contre ce texte.
Voici son explication de vote :

« Ce rapport appelle à développer les systèmes de retraites par capitalisation collectifs et l’épargne individuelle privée. Il annonce de nouvelles attaques contre les régimes publics solidaires. C’est d’autant plus insupportable que les retraites relèvent de la compétence des Etats-membres et non de l’Union européenne. L’attention portée aux femmes et quelques formules généreuses ne peuvent masquer cette provocation, à l’heure où une nouvelle bataille commence pour défendre le droit à la retraite en France. Je vote contre. »