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La 6ème république va dans le bon sens

Le régime de la Ve République est vieux et usé. Il a servi ceux qui l’avaient mis au point en des temps troublés. De ce point de vue, on peut reconnaître que ces institutions ont rempli leur office lorsque le pays faisait face au choc de la décolonisation, mettant d’ailleurs en œuvre une violence d’État qu’aucun régime parlementaire classique n’aurait pu assumer. La Ve République a fait la guerre d’Algérie. Mais elle ne réglera pas la crise du capitalisme financier.

Une constitution d’un autre temps

En 1958, le Général de Gaulle impose la dictature temporaire en cas de péril de la Nation (article 16), tout en sanctuarisant la fonction présidentielle. Le modèle d’exercice du pouvoir est donc de type monarchique : un chef doté de prérogatives multiples, mais parfaitement irresponsable. Même la réforme de la responsabilité du chef de l’État voulue en 2007 par Jacques Chirac n’a rien changé à son irresponsabilité politique. Le président, une fois élu directement par le peuple, ne connaît aucune contrainte politique, ni même pénale ou civile puisqu’il jouit d’une immunité totale durant son mandat. Pourtant, il a droit de vie et de mort sur les autres représentants directs de la nation – l’assemblée nationale – qui, elle, n’a aucun moyen d’action en retour. Le gouvernement est encore plus asservi que les autres puisqu’il est nommé et congédié à volonté par le Président. Il n’a en tout cas aucun moyen de contenir le pouvoir présidentiel. Résultat : le président gouverne et légifère sans contre-pouvoir ni contrepartie.

Mais voilà, le défi qu’affronte notre pays est nouveau. Il doit faire face aux abus du pouvoir financier dont le trait typique est de saper l’assise démocratique des États : délégitimer les instances démocratiquement élues et surtout retirer au peuple toute espèce d’influence sur les orientations publiques. Ses armes sont d’abord les transferts de compétences vers des instances dirigeantes non élues mais cooptées au sein de réseaux oligarchiques où d’autres normes règnent que celles qui sont approuvées par les peuples ou par leurs représentants. Le pouvoir financier agit ensuite directement sur les élites politiques et administratives des États en organisant la corruption à coups de millions.

Si vous ajoutez à cette dérive anti-démocratique l’irresponsabilité politique érigée en norme par nos institutions, on doit craindre le pire pour la souveraineté du peuple. C’est en quelque sorte la double peine. En tout cas, il est désormais évident que cette constitution depuis toujours attachée à éloigner les gouvernants des interpellations politiques du peuple est impuissante à lutter contre un mal qui précisément tend à creuser ce fossé.

Qu’on se souvienne du premier acte de la procédure constituante entamée à la suite du coup de force d’Alger en mai 1958 : les assemblées parlementaires ont été « invitées » à se mettre en congé après avoir remis les clés au Gouvernement, l’autorisant à légiférer par ordonnances. Le deuxième acte a été de confier le pouvoir constituant au pouvoir exécutif. Le troisième a été de forcer la main du peuple en lui présentant un projet de constitution en forme de salut de la patrie en danger sans lui avoir permis d’en débattre à aucun moment de son élaboration. Résultat : avec la constitution de 1958, le peuple n’intervient que pour élire un président qui n’a aucun compte à lui rendre et une assemblée qui n’a pas les moyens d’être un contre-pouvoir. Lorsqu’un référendum est organisé, s’il ne sert pas à confirmer la volonté du président, il est purement et simplement ignoré, comme en 2005. D’où le déclin général des taux de participation aux consultations électorales.

Redonner le pouvoir au peuple

On connaît ces États dans lesquels l’emprise de la finance s’est abattue encore plus violemment, le Venezuela par exemple. Ils ont dû pour commencer à s’en défaire repenser complètement le pacte social ; et surtout choisir une méthode qui rejoigne leurs objectifs. Si le but était de remettre le peuple aux commandes, alors même qu’il s’en trouvait souvent plus éloigné que nous en France par manque d’instruction et généralement par une exclusion profondément organisée (illettrisme et absence d’état-civil…), il fallait qu’il joue son atout majeur : le nombre. Voilà pourquoi comme dans la France de 1789 et 1792, le Venezuela a d’abord alphabétisé les pauvres pour leur donner les moyens de s’impliquer et a lancé des campagnes d’éducation populaire à propos précisément du changement de la règle du jeu politique. De sorte que le grand nombre a pris conscience qu’il était non seulement souhaitable, mais possible de prendre les commandes. Le processus a ensuite emprunté le seul chemin garantissant l’implication populaire et l’efficacité du résultat : de nouvelles règles du jeu institutionnel.

Une constituante

Ce chemin serait en France, comme là-bas, celui de la désignation d’une assemblée constituante, c’est-à-dire un ensemble de représentants élus au suffrage universel direct ayant pour mandat d’élaborer et de proposer un nouveau texte constitutionnel.

Ce projet n’est pas une utopie : il s’inscrit dans l’ordre du possible pour peu qu’on le veuille bien. Un président Front de gauche pourra comme tous ses prédécesseurs recourir à l’article 11 de la constitution actuelle pour demander au peuple d’approuver par référendum la loi portant convocation d’une Assemblée constituante. La volonté populaire exprimée favorablement vaudra validation du mandat conféré aux futurs élus. Une élection des membres de la constituante aura ensuite lieu, conformément aux règles qui auront été édictées dans le cadre de la loi de convocation. Par exemple, les candidats à l’Assemblée constituante ne devront être titulaires d’aucun mandat, ni candidats à de futures élections. S’ouvrira alors un gigantesque débat public organisé parallèlement aux travaux de l’Assemblée constituante de manière que soient respectés autant la souveraineté du peuple que le mandat des représentants à l’Assemblée constituante. La participation des citoyens, des organisations sociales et politiques sera garantie par toutes les formes de rencontres publiques (forums, états généraux, assemblées populaires, …). Grâce au relais médiatique notamment, le peuple s’en appropriera les enjeux. L’Assemblée constituante ainsi informée par le débat public votera un projet de constitution à propos duquel le peuple sera consulté de manière décisive. C’est donc un référendum qui permettra l’approbation ou la nouvelle délibération du projet par l’Assemblée constituante.

Ce processus est aussi un pari. Il conduira nécessairement à ne pas répéter une Ve République, instruits que nous sommes, et parmi nous ceux qui ont eu le plus à en souffrir – les plus nombreux –, des désastres auxquels nous a mené ce régime. Il y a par exemple des propositions de contenu qui garantissent contre un retour en arrière et promettent une rénovation radicale des modes d’action sociale. L’insertion dans la constitution de pans entiers de la vie économique et sociale qui jusqu’ici en étaient exclus et donc livrés à l’aléa de rapports de force nécessairement désavantageux pour les plus vulnérables : la maîtrise du secteur bancaire et financier, la participation des travailleurs dans l’entreprise, la participation citoyenne dans les médias, les choix scientifiques, la maîtrise des ressources naturelles. L’introduction de nouvelles procédures propres à maintenir le pouvoir dans le giron du peuple telles que le référendum révocatoire (voir encadré) ou les lois d’initiative populaire.

Charlotte Girard

Le référendum révocatoire pour rompre avec le régime d’irresponsabilité

Souvent   rejeté avec mépris comme si c’était un délire gauchiste, le référendum   révocatoire est pourtant un droit inscrit dans de nombreuses constitutions, y   compris dans des États n’éveillant généralement pas le soupçon des médias   dominants, tels la Colombie britannique au Canada, six cantons suisses et une   grande proportion des États fédérés des États-Unis dont la Californie. La   possibilité pour le corps électoral d’y révoquer la quasi-totalité de ses   représentants s’explique par un raisonnement logique en démocratie selon   lequel l’élu doit normalement répondre de ses actes à tout moment. Certes les   conditions sont assez difficiles à réunir puisqu’un pourcentage conséquent   d’électeurs doit pétitionner pour demander le départ de tel ou tel. Mais le   résultat n’a pas été de rendre ce pouvoir virtuel, ni de déstabiliser les   États. Même constat dans les États généralement critiqués pour leur   soi-disant autoritarisme où pourtant la révocation peut toucher jusqu’aux   représentants des pouvoirs centraux législatif et exécutif : Venezuela   (art. 72 de la constitution de 1999) et Bolivie (art. 240 de la constitution   de 2009). Avec ces exemples, on a non seulement la preuve que la responsabilité   politique continue des élus est un élément constitutif des démocraties les   plus anciennes, mais aussi une caractéristique généralisée des constitutions   les plus modernes.