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Le poisson pourrit par la tête

On a coutume de dire que l’air est plus pur en altitude. Le phénomène semble inverse pour nos « élites ». Pour autant que l’on puisse parler « d’altitude » à leur propos. Une autre expression conviendrait mieux : « le poisson pourrit par la tête ».

A propos de la sortie raciste de Nadine Morano dans l’émission « On n’est pas couché », on pourrait en effet se rassurer à bon compte. L’auteure n’est-elle pas coutumière de ces provocations médiatiques ? Beaucoup de responsables de droite ne l’ont-ils pas condamnée ? Ne se retrouve-t-elle pas du coup démis de sa tête de liste pour les Régionales ?

On aurait tort. Ce type de déclaration d’une responsable de la droite « classique » (en l’entendant on ne peut plus décemment dire « républicaine ») sur la France « pays judéo-chrétien de race blanche », réservée il y a quelques années aux réunions groupusculaires de l’extrême-droite la plus fétide, est un symptôme. Celui d’un glissement accéléré vers ces thèses nauséeuses et contraires aux fondements républicains.

Faut-il rappeler que Nicolas Sarkozy, qui rejetait totalement cette idée il y a quelques années, évoque aujourd’hui la remise en question du droit du sol ? L’abolition du droit du sol est aussi une proposition phare du FN. L’objectif des Républicains est d’ailleurs affiché : « Il ne faut pas laisser ce sujet être accaparé par le FN », assume Eric Ciotti.

Côté médiacratie, les vannes sont ouvertes depuis longtemps. Et là aussi l’accélération est de mise. Maïtena Biraben, la journaliste-­animatrice du Grand Journal de Canal Plus, aura eu beau expliquer qu’elle parlait de forme et non de fond, en vantant un « discours de vérité » que tiendrait « le Front national » et dans lequel « les Français se reconnaissent » elle a tenu des propos qui auraient été proprement inimaginables sur la même antenne, dans la même émission, voire sur l’ensemble du PAF il y a quelques années…

Tout concourt à une banalisation des thèses frontistes au pire, à une désorientation profonde de la population au mieux.

Le gouvernement s’emploie également à semer cette désorientation. En témoignent les propos de ministre d’un gouvernement dit « de gauche » qui reprend à son compte des déclarations que seuls les responsables les plus libéraux de la droite se permettaient il y a quelques années encore. Ce même ministre, Macron, dont chacun voit bien aujourd’hui qu’il imprime la ligne du gouvernement dans une sorte de course à l’échalote au plus libéral avec Manuel Valls.

Le fond de l’air est donc nauséeux à souhait. C’est celui du libéralisme autoritaire dont se drape le nouvel âge du capitalisme. Celui-ci en vient même à s’exonérer de toutes règles qui le gênent. Même quand il les a fixées. Ainsi Manuel Valls décide que le projet d’accord sur la rémunération des fonctionnaires rejeté par FO, Solidaires puis la CGT, s’appliquera à tous les agents alors qu’il n’obtient pas l’agrément des syndicats regroupant au moins 50 % des voix aux élections professionnelles. « Face à une situation inédite, il faut sans doute une décision exceptionnelle,» explique-t-il pour justifier ce coup de force.

Accumuler des décisions exceptionnelles de ce type quand vous n’avez pas de majorité – l’adoption de la loi Macron par le 49-3 en est un autre exemple – peut vous faire passer sans crier gare à un état d’exception. C’est d’ailleurs précisément ce que souhaite faire la Commission européenne en décidant de passer outre l’ approbation des peuples et parlements nationaux, comme il était prévu, pour valider les accords de traités de libre échange TTIP et TISA. A vouloir substituer la souveraineté des marchés à celle des peuples on n’est pas loin d’une nouvelle forme de totalitarisme, même sous une forme plus policée et pour le coup plus « indolore » que les dictatures militaires. Mais la question est posée : quels arguments comptent dès lors utiliser ces prétendus « démocrates », qui n’hésitent pas à dissoudre les peuples, pour s’opposer à une extrême-droite qui justement en revendique la souveraineté ? Quand elle n’’est plus que virtuelle, la démocratie est un faible rempart face au fascisme.

Ce monde-là, rempli de contradictions, ne pourra tenir longtemps. Il suscite pour le moment surtout des replis identitaires : des pires – ceux des partisans de nations ethniques – aux moins inquiétants de prime abord que sont les revendications régionalistes. Mais même portées de façon progressiste par ses partisans, comme en Catalogne, ces revendications ont pour résultat d’affaiblir les Etats-nations dans un moment où l’Europe libérale entend justement atteindre le même objectif. Face à ces périls, il n’y a toujours qu’une issue : rompre clairement avec le système et œuvrer à une alternative qui répond de façon indissociable aux questions universelles de souveraineté, de partage des richesses et de l’intérêt général, à commencer par celui de la préservation de notre écosystème.

En Europe, des forces marquent des points sur ces thèmes. Même dans des conditions difficiles où les médias vont vouloir imposer un tripartisme mortifère, les régionales peuvent nous permettre d’en marquer là où nous serons parvenus aux meilleures démonstrations de listes de rassemblement citoyens et d’unité de l’opposition de gauche. Au moment où les listes vont être définitivement connues, nous pouvons affirmer que le PG n’aura pas ménagé ses efforts pour essayer d’y parvenir au mieux, même au prix de ses intérêts de parti. Nous n’en avons nul regret, nous revendiquons même ce rôle de facilitateur y compris quand il est difficile. Et nous appelons déjà les électeurs et électrices à se servir du bulletin de vote des listes que nous soutenons pour répondre au référendum bidon que le PS entend mettre en œuvre au nom d’une unité de la gauche que la politique de son gouvernement rend toujours plus chimérique.

Eric Coquerel Co-coordinateur politique