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La France, puissance maritime qui s’ignore

La France dispose du deuxième territoire maritime du monde. «Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée ». Cette phrase de Richelieu porte toujours : le gouvernement de François Hollande méprise ce potentiel de notre pays. La mer est pourtant le nouvel horizon de l’humanité. Elle est aussi un bien commun essentiel gravement menacé. Et la France ? Son devoir est fixé par son rang. C’est une opportunité fantastique pour notre peuple dans le siècle qui commence. La mer a le goût du futur pour les Français.

La mer, nouvelle frontière de l’humanité

La mer est d’abord un espace plus méconnu que la surface de Mars ! Cependant c’est l’espace le plus vaste de notre planète ! Plus étendu que le monde connu lui-même : les océans couvrent 70 % de la surface du globe. Observons que plus des deux-tiers de la population mondiale vit à moins de 100 kilomètres d’une côte. La suite se devine. Car l’expansion humaine a fini d’occuper l’essentiel de la surface disponible sur la terre ferme. Avec 7 milliards d’individus, l’humanité est vouée à se tourner davantage vers la mer pour y trouver les ressources qui lui manque à terre : alimentation, eau potable, énergie, etc. La France dispose d’un trésor.

L’entrée en mer a commencé

N’en parlons pas au futur. L’entrée de l’humanité en mer a déjà commencé. Elle a débuté sur le mode néolibéral productiviste : la cupidité commande. Le saccage est largement engagé. Directement, par le pillage, ou comme conséquence des pratiques à terre. Du peu qu’on en voit, le pire est déjà là. Ainsi cette immense zone morte de 22 000 km² dans le golfe du Mexique : la vie marine y a totalement disparu, à cause des pollutions d’origine agricole ruisselant dans le Golfe. Face à Cassis, la calanque de Port-Miou se remplit des boues rouges de l’usine de bauxite. Quant à l’explosion du trafic maritime, on sait son prix en termes de dégazages sauvages ou de naufrages volontaires des vieilles carcasses (beaching). La haute mer n’est pas épargnée, comme en atteste ce sixième continent, fait de milliards de déchets plastiques flottants empilés sur plus de vingt mètres.

Et pourtant la mer nous fait vivre déjà un bouleversement inouï. Certes, la pisciculture est souvent une abomination pire que celle des élevages porcins. Pour autant, elle est un exemple particulièrement spectaculaire si l’on veut bien y réfléchir. Pour la première fois de l’Histoire, en 2013, les quantités de poissons produits par l’aquaculture égalent les quantités pêchées ! Le temps de la « cueillette » en mer est en train d’être dépassé. Exactement comme la chasse a été remplacée par l’élevage il y a près de dix mille ans.

La mer, un bien commun menacé

La mer est indispensable à l’écosystème qui rend possible la vie humaine. Toutes les généalogies d’êtres vivants ont commencé en mer. Elle reste le grand régulateur de notre écosystème. Elle absorbe 80 % de la chaleur produite par la planète et 20 % des émissions de CO2. Sans les mers, le changement climatique serait plus rapide, le sort de la vie humaine probablement déjà réglé. La mer est donc un bien commun de l’humanité. La question n’est pas de savoir s’il faut s’intéresser à elle, mais comment et pour quoi faire. Va-t-on reproduire au large les mêmes dégâts que ceux provoqués à terre ? Ou bien en entrant en mer de façon maîtrisée n’allons-nous pas du coup changer le mode de production terrestre ? La France peut agir de façon décisive. Elle ira en tête de ce nouvel âge de l’expansion humaine. « Liberté-égalité-fraternité » est une meilleure préparation à l’universalisme maritime que l’étroit appel au « deutschen Volke » invoqué sur la façade du Bundestag ou le stupide « in God we trust » proclamé sur chaque dollar ! Sinon ? Voyez la pente prise : aujourd’hui, ce bien commun est tellement malmené ! Saccagé par le productivisme. Pillé par l’appropriation privée. Déchiré par les tensions entre et à l’intérieur des nations.

La menace du productivisme

Ce n’est sans doute qu’un début. Premier réservoir des ressources rares, la mer aiguise de féroces appétits. Elle contient 90 % des réserves d’hydrocarbures de la planète et 84 % des réserves de minerais et de métaux. Allons-nous laisser les firmes transnationales exploiter ces ressources comme elles l’entendent ? Les marées noires sur les côtes n’ont-elles pas suffi à nous alerter ? Elles se multiplieront si nous laissons exploiter les hydrocarbures qui se trouvent au fond des mers, comme ce projet de forage à 3 000 mètres de fond face au cap Horn, ou au large de la Guyane française. La mer est la première réserve de biodiversité. Nous connaissons à peine 15 % de la faune et de la flore marines. Cette merveille sera-t-elle détruite alors même qu’elle contient tant de réponses concrètes aux limites actuelles de la connaissance en biologie ?

La mer, au cœur des tensions politiques et géopolitiques

La mer est à l’origine de tensions géopolitiques. Certes, ce n’est pas nouveau. Mais les tensions existantes se renforcent et de nouvelles se créent. La lutte pour l’appropriation de l’espace maritime fait rage. Dans chaque nation, ce sont les conflits d’usage entre pêcheurs et plaisanciers, entre implantations d’éoliennes et zones de pêche. Il en va de même entre les nations. Des îlots au sous-sol maritime prometteur, hier ignorés, deviennent des enjeux pour lesquels se déploient navires de guerre russes, japonais ou chinois. Le réchauffement climatique et la fonte des glaces de l’Arctique aiguisent les appétits. Les zones libérées des glaces ne sont pas toutes cartographiées. Où passe la frontière entre la Russie et le Canada ? À qui appartiennent le sol et le sous-sol marins ? La France est muette. Jusqu’à ce qu’au Sud, la Terre Adélie française soit disputée ?

La menace de la privatisation

Partout, la privatisation de tous les usages de ce bien commun est à l’œuvre. Voyez en Grèce la privatisation du port du Pirée à Athènes, ou la vente à la découpe du littoral. Le Parlement français vient, pour sa part, d’autoriser les mercenaires privés à protéger les navires pour compenser le désengagement de la Marine nationale. Et l’Union européenne (UE) a acté la création de droits de pêche qui pourront se vendre ou s’acheter. Cela revient à reconnaître un droit de propriété sur une partie de la ressource avant même qu’elle n’ait été récupérée. D’où vient ce droit ? Quelle est sa légitimité ? De tels droits transférables développent la financiarisation de la pêche au profit des grands groupes. Comme l’a dit si justement Isabelle Autissier lors des Assises écosocialistes de la mer organisées par le Parti de Gauche en janvier 2014 à Toulon : « ceux-là placent de l’argent dans le poisson comme ils en placeraient dans la chaussette. Et le jour où il n’y a plus de poissons, ils retournent dans la chaussette. Le pêcheur, lui n’a pas d’autre choix que de préserver la ressource ». Le capitalisme financier est une maladie mortelle pour la biomasse marine !

Faire entrer la politique en mer

Parfois la mer est là en politique. Comme touche d’évasion exotique de programmes austères. Hors sujet ! Les questions maritimes interpellent directement le cœur des raisonnements politiques.

Un enjeu de civilisation

La mer est au carrefour des grandes bifurcations de notre temps. La bifurcation anthropologique d’abord : l’humanité est plus nombreuse et plus urbaine que jamais. Et c’est sur les littoraux que se trouvent les plus grosses et les plus dynamiques concentrations de populations. Puis vient la bifurcation géopolitique : la concurrence du leadership mondial des États-Unis par la Chine se traduit en termes maritimes, les États-Unis s’arc-boutent sur l’Alliance atlantique pour se tourner plus fortement vers le Pacifique d’un point de vue commercial ou militaire. La bifurcation climatique donne encore plus de poids aux enjeux maritimes. Imaginons les conséquences sociales de la montée du niveau des mers. Imaginons les conséquences géopolitiques de l’ouverture régulière des routes maritimes passant par le pôle Nord : que deviennent alors les canaux de Suez et de Panama ? Et s’il est possible d’éviter les canaux, pourquoi limiter la taille des navires et donc des ports ? La carte de la puissance économique en sera bouleversée. La mer est au cœur des enjeux planétaires.

Une responsabilité particulière pour la France

Selon le service hydrographique et océanographique de la Marine, notre pays compte 18 000 kilomètres de côtes. Surtout, avec 11 millions de km², nous disposons du deuxième territoire maritime du monde, juste derrière les États-Unis ! Ce territoire représente plus de seize fois notre territoire terrestre. C’est alors un changement de paradigme national : 97 % du territoire maritime français se situe dans nos outre-mers, si souvent dédaignés. C’est surtout un enjeu international. La France a le 41e territoire terrestre du monde. Mais en additionnant les territoires terrestre et maritime, la France est le sixième géant du monde, juste derrière le Brésil, mais devant la Chine ou l’Inde ! Combien de Français savent que le territoire national s’est accru de 10 % sans une guerre, dans les années 2000 ? Cela parce que la France, avec le programme Extraplac, a pu remettre à temps à l’Organisation des Nations unies (ONU) les preuves scientifiques prouvant la continuité physique des nouveaux territoires maritimes connus avec ceux déjà reconnus à notre pays. Sur cette nouvelle mappemonde, la France n’est plus la petite nation « occidentale » qu’a fait d’elle son adhésion à l’OTAN. C’est une puissance universaliste présente sur les cinq continents dans leur contexte maritime. Ses alliances sont nécessairement altermondialistes plutôt qu’atlantistes.

La France défaite

Cette responsabilité et ce formidable potentiel sont totalement ignorés.

Prétendue compétitivité contre intérêt général

La poursuite aveuglée de la « politique de l’offre » conduit à un rabougrissement de la pensée dont notre politique maritime est l’une des premières victimes. Les exemples sont légion. Le président de la République ne s’est jamais exprimé sur le sujet. Il n’y a pas une ligne sur la mer dans le rapport de Louis Gallois sur la compétitivité du pays ni dans le Pacte de compétitivité que le gouvernement Ayrault a présenté dans la foulée ! Quant aux 34 « plans filières » de la « nouvelle France industrielle » présentés par Arnaud Montebourg, ce n’est guère mieux. À peine une trace. On y trouve tout juste dix mots sur les énergies marines, noyés dans l’ensemble du plan sur les énergies renouvelables. Et un seul des 34 plans concerne spécifiquement la mer : il s’agit de la filière de construction des « navires écologiques ».

Libéralisme contre indépendance nationale

Mais même dans cette filière, l’inaction est de mise si l’on en juge par l’absence de réaction gouvernementale au départ de l’actionnaire coréen STX, détenteur de 66% des chantiers navals de Saint-Nazaire. Pourtant, l’État est déjà actionnaire à hauteur de 34 %. Le départ de STX pourrait être l’occasion de retrouver une participation majoritairement publique et nationale dans ce groupe. Ce serait un atout précieux pour engager la conversion de la filière, pour construire mieux et déconstruire proprement les navires. 120 navires de guerre à démanteler, 5 000 bateaux de pêche, 20 000 bateaux de plaisance en fin de vie chaque année sont ignorés. Mais le gouvernement laisse faire. Comme il laisse Veolia couler le plan de sauvetage de la SNCM, qui prévoyait l’achat de quatre navires fonctionnant au gaz naturel liquéfié qui auraient dû être produits à Saint-Nazaire.

Le cas Alstom est emblématique de ce laisser-faire contraire à l’intérêt national maritime. Alstom est un pionnier des hydroliennes et des éoliennes offshore, désormais à moitié abandonnées à General Electric. L’entreprise a même remporté l’appel d’offres pour l’implantation du premier champ d’hydroliennes au large des États-Unis. Notre Marine nationale dépend aussi directement de cette entreprise pour les turbines de ses plus éminents vaisseaux : le porte-avions Charles de Gaulle et les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. C’est par la mer que l’avenir d’Alstom est le plus intimement lié à l’indépendance nationale. À cette démission s’ajoute une politique d’économies mutilantes : la politique d’austérité frappe durement le secteur. Le budget de l’État pour la Mer a ainsi été réduit de 5 % en 2013, puis de 2 % en 2014. Et ce n’est pas fini : le plan de 50 milliards d’euros d’austérité prévu pour la période 2015-2017 va encore frapper.

La mer, nouvel horizon français

Dans le secteur maritime aussi, tout est à reconstruire. L’intérêt général doit reprendre le dessus. Dès lors la mer nous invite à rebâtir la France elle-même.

Vive la « souveraineté maritime »

C’est de la souveraineté du pays, et donc de son peuple, dont il est question. L’heure est venue pour la France de reconquérir sa « souveraineté maritime ». Cela commence par la connaissance et la protection du territoire national. La Marine nationale doit avoir les moyens de protéger nos côtes, nos fonds marins mais aussi les navires battant pavillon français face aux pirateries. La défense du pavillon français passe également par la lutte contre les pavillons de complaisance et le dumping. Nous devons pouvoir lutter contre la pêche illégale avec nos propres moyens de surveillance et d’arraisonnement. Nous devons pouvoir protéger nos littoraux et l’écosystème marin sous notre souveraineté : la lutte contre les pollutions nécessite des moyens pour l’action de l’État en mer et pour les douanes.

Notons encore ceci : notre souveraineté en matière d’approvisionnement pétrolier par la mer implique une option protectionniste pour développer une flotte sous cocon. Je note ce point pour que l’on comprenne l’enchaînement de décisions qui conduisent de la souveraineté en mer à l’industrie. Pour garantir la souveraineté de notre approvisionnement, l’arsenal législatif existant est insuffisant. La loi de 1992, qui fixe un quota minimum d’importation de pétrole brut sous pavillon français, doit être étendue aux produits raffinés et le quota déjà fixé doit être relevé. Cela suppose que nous soyons capables de construire, réparer, démonter et recycler nous-mêmes les navires affectés à cette tâche.

Un laboratoire de l’écosocialisme

Parler de la mer, c’est reconsidérer ce que nous faisons à terre. Le lien est évidemment physique. Le tsunami à Fukushima nous enseigne qu’un fait naturel prend un impact nouveau avec la présence d’installations humaines sur les côtes. La hausse du niveau des mers concernera tout le monde. La question se pose sous nos yeux, sur nos littoraux. La moitié de la population française vit à moins de 100 kilomètres d’une côte. Combien d’installations faudra-t-il déménager ? Qui va organiser cela ? Le marché ? Songez à l’aéroport de Nice par exemple, construit partiellement sur une avancée en mer. Pensez à la centrale nucléaire du Blayais, sur l’estuaire de la Gironde, que la tempête de 1999 a déjà failli noyer. La mer grignote le bâti que l’argent roi lui impose sans précaution. Et comment relancer nos ports sans développer, à terre, les zones multimodales nécessaires ? Mais le lien est surtout intellectuel. Il s’agit du modèle de développement, de la gestion des biens communs, de la prise en compte de l’impératif écologique. La mer est un domaine concret de l’écosocialisme. Elle ne peut être l’espace réservé à une pratique écologique tandis que tout continuerait comme avant à terre. L’aval commande ici l’amont ! L’économie de la mer étend nécessairement le modèle de l’économie écologique à tout le système productif.

Un formidable potentiel d’énergies renouvelables

L’une des applications les plus évidentes est dans le processus de transition énergétique. Au niveau mondial, on estime que la mer est une réserve énergétique quatre-vingt fois supérieure aux besoins actuellement recensés. Pour sortir des énergies carbonées – et du nucléaire –, il nous faudra produire de l’électricité autrement. Notre territoire dispose d’un énorme potentiel. La France a ainsi le deuxième gisement hydrolien d’Europe, permettant de produire de 3 à 5 gigawatts soit l’équivalent de deux à trois centrales nucléaires. Il faut y ajouter l’éolien offshore, l’exploitation de l’énergie mécanique des mers ou encore des différences de température entre le fond et la surface des mers. Nos outre-mer peuvent montrer la voie et trouver un espace de développement en visant l’autonomie énergétique. Mais le littoral métropolitain est tout aussi riche. L’un et l’autre peuvent, en toute hypothèse, extraire l’électricité naturellement contenue dans l’eau. Encore faut-il s’en donner les moyens ! Quel spectacle lamentable de voir nos champions industriels s’affronter au lieu de coopérer : Alstom produit des éoliennes offshore avec EDF contre GDF, mais des hydroliennes avec GDF contre EDF ! À quand un pôle public de l’énergie permettant de faire travailler ensemble ces entreprises ? J’ajoute que l’exploitation de ce potentiel d’énergies marines ne s’oppose nullement aux activités des pêcheurs si j’en crois ce qu’on m’a dit à Saint-Malo : les pêcheurs s’apprêtent à utiliser les pieds des éoliennes pour élever des homards.

Le nouvel or sera-t-il vert ?

La mer fournit aussi des pistes solides pour sortir du pétrole. Par exemple pour produire du plastique à partir d’algues. Les brevets sont en Bretagne. Ils permettent déjà de fabriquer des coques de téléphone, des porte-cartes et même des jouets de plage ! On est encore loin de concurrencer les productions plastiques à base de pétrole. Mais la commande publique pourrait aider à cette conversion, par exemple en équipant de porte-cartes en algues les usagers des transports en commun.

Il en va de même des algocarburants. À surface égale, les algues produisent trente fois plus de carburants que les agrocarburants comme le colza. De plus, les conditions de production d’algues sont relativement simples à réunir : de l’eau, du soleil et du CO2. Pourtant, notre production reste résiduelle. Car aujourd’hui, la production d’algocarburants coûte dix à quinze fois plus cher que celle d’agrocarburants, si l’on met de côté le coût social et humain de cette production. Le marché sera donc incapable d’intégrer cette alternative dans le mix énergétique.

Autre exemple : l’algoculture pour l’alimentation. C’est également l’une des clés du monde de demain. Il est illusoire et dangereux de vouloir nourrir en protéines 7 milliards d’êtres humains uniquement par l’élevage animal ou la pêche. Même la pisciculture n’y suffira pas. Par contre, la micro-algue spiruline produit neuf tonnes de protéines par hectare cultivé, soit neuf fois plus que le soja !

Au-delà des algues, plusieurs organismes marins offrent à la science et à la médecine des horizons nouveaux. Bien sûr, la recherche est encore en cours et il ne peut être question d’idéaliser la science et la technique sans réfléchir à leur utilisation. Mais comment taire l’espoir formidable que représentent les essais de création d’un sang humain de substitution à partir de l’hémoglobine du ver de vase Arenicola marina ? Ou les potentialités offertes à la recherche contre le cancer par les travaux sur les cellules des éponges ? Dans tous ces domaines, les Français marchent en tête du savoir-faire.

La mer, volant d’entraînement pour la relance de l’activité

Une fois bien compris le potentiel à notre portée, il faut raisonner. L’austérité et la politique de l’offre condamnent le pays à l’anémie durable et généralisée. Laisser au marché le soin de découvrir les produits demandés, c’est s’interdire de peser sur le choix des activités à développer et se rendre incapable de faire régresser les activités écologiquement insoutenables. L’économie de la mer est à l’inverse le moyen d’une relance écologique de l’activité. Elle constitue un volant d’entraînement de premier plan : les activités choisies, à leur tour, opèrent une sélection de demandes et de consommations. Notre scénario de relance est donc sélectif. L’économie de la mer est un point d’entrée. Elle couvre un champ très large : recherche, construction et déconstruction navale, algoculture, pisciculture, biotechnologie, énergie, tourisme bleu, etc. L’impact de la relance traverse tous les secteurs et toutes les régions. Par exemple, les hydroliennes et éoliennes offshore consomment des aciers fins produits en Lorraine. L’effet d’entraînement traverse tous les métiers. Car l’investissement et les salaires distribués finissent par atteindre tous les compartiments d’activité, notamment ceux qui vivent directement de la consommation populaire, comme les commerçants. Voilà résumé comment relancer l’activité par une planification écologique de l’entrée en mer, et des investissements publics pour la réorienter en même temps. L’économie de la mer peut être le point de départ d’un engrenage vertueux. Elle produit déjà plus de 50 milliards d’euros de richesses par an, soit 2,5 % du produit intérieur brut (PIB) du pays et emploie déjà plus de 300 000 personnes. On sait donc que c’est possible !

L’économie de la mer se prépare aussi à terre

Un tel appel d’air serait-il soutenable par notre population active ? Oui, en nombre. Non, pour ce qui concerne les qualifications professionnelles disponibles. J’ai connu, comme ministre de l’Enseignement professionnel, la situation de la région de Saint Nazaire, en 2001. La croissance était de plus de 2 %. La pénurie de main-d’œuvre qualifiée était paralysante. Ici, je n’évoque que la situation du chantier naval. Car ce type de chantier met en mouvement des dizaines de métiers dont on n’imagine pas à première vue qu’ils sont concernés. Par exemple, il faut beaucoup de menuiserie pour construire un bateau. En fait, tous les métiers du second œuvre du bâtiment sont sollicités, en plus de toutes les tâches strictement liées à la métallerie. Un chantier naval, en période de plein emploi régional et donc de pénurie de main-d’œuvre, fonctionne comme un aspirateur à main-d’œuvre qualifiée. Non seulement il en manque sur le chantier, et cela se paie d’une intensification des cadences, mais il en manque également partout ailleurs chez les artisans et les entreprises de la région. Notre relance impliquera donc un terrible coup de collier éducatif pour préparer la main-d’œuvre qualifiée nécessaire, de l’ingénieur à l’ouvrier hautement qualifié.

Bien commun, souveraineté nationale, politique économique, transition écologique, qualifications professionnelles : la mer est un domaine d’intérêt général. C’est de la reconstruction du pays et de l’horizon du peuple français qu’il est question. C’est donc un formidable défi lancé à l’intelligence. Mettons nos pas dans ceux de Fernand Braudel : « La mer… À elle seule, elle est un univers, une planète ». Il est temps de s’emparer des enjeux posés par la mer à la civilisation humaine. Il est temps pour la France de donner l’exemple.

Jean-Luc Mélenchon 
Député européen.