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Economie sociale et solidaire : occasion manquée et dangers cachés

Le 27 juillet 2013, Benoît Hamon, ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire (ESS) a présenté en Conseil des ministres le projet de loi-cadre sur l’ESS. Le projet de loi doit être discuté au Parlement début octobre.

Loin d’une avancée pour l’ESS, ce projet de loi est un concentré d’occasions manquées et recèle des dangers cachés. Les petits progrès ici où là font pâle figure. D’autant que le projet de loi ne crée absolument pas de droit de préemption pour les salariés souhaitant reprendre leur entreprise sous forme de coopérative. Ce serait pourtant indispensable.

L’ESS, une chance pour la France

L’économie sociale et solidaire regroupe les structures comme les : coopératives, mutuelles, associations, syndicats et fondations qui ont une gestion du capital démocratique (principe un adhérent, une voix) et organisent un partage équitable des bénéfices.

  • Elle produit près de 10% du PIB national et embauche 10% des salariés (2,2 millions de Françaises et Français y travaillent). Les femmes y sont surreprésentées (65,5%).
  • Les emplois sont en majorité non-délocalisables, fortement intégrés aux territoires, et constituent parfois la première filière d’activité dans certaines zones rurales.
  • 500 000 de ses salariés dépassent les 50 ans (23%) : d’ici une dizaine d’années, le secteur embauchera massivement.
  • 288 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010, +5,1% par rapport à 2009.
  •  L’ESS créait 23 % des emplois dans les dix dernières années quand l’économie classique n’en créait que 7 %.
  • 100 000 à 200 000 emplois risquent de disparaitre chaque année par de fermetures d’entreprises saines, fautes de repreneurs (Etude d’impact accompagnant le projet de loi). Développer l’ESS permettrait de préserver ces emplois et sécuriser ces entreprises.

Hollande ne fait rien depuis 18 mois

Les  salariés de l’usine FRALIB luttent depuis trois ans.
Contrairement aux promesses de Hollande, ils n’ont eu aucun soutien du gouvernement pour créer leur SCOP et reprendre leur usine de Gémenos.

Pourtant, grâce à leur courage et à leur savoir-faire, ils ont réussi à produire des infusions mises en vente lors de la fête de l’Humanité !

Hollande et Hamon contre le droit de préemption des salariés

Le chapitre 2 du projet de loi cadre crée un «Droit d’information préalable»des salariés. Ils seront mis au courant, en amont, d’éventuels projets de cession. (2 mois avant la cession pour les entreprises de moins de 50 salariés, obligation d’information pour les entreprises de 50 à 250 salariés).
Ce dispositif est censé leur donner le temps de préparer une reprise de l’entreprise.

Mais le chef d’entreprise « reste libre de vendre au prix qu’il souhaite et à qui il veut » !

  • Il n’y a pas de droit de préemption qui imposerait légalement au propriétaire de l’entreprise (patron ou acitonnaires) de vendre l’entreprise aux salariés qui souhaitent reprendre en SCOP. Les salariés seront juste « informés« .
  • RTL – 24 juillet 2013 : Hamon « Nous créons un droit à l’information » mais « nous ne remettons en cause ni la liberté du cédant ni le droit de propriété :le chef d’entreprise cèdera à qui il veut »

Une loi dangereuse pour l’ESS

Le chapitre 1 de la future loi-cadre définira de manière « inclusive » le périmètre de l’ESS : « non lucrativité ou lucrativité limitée, gestion désintéressée, le fait de ne pas faire de la recherche des bénéfices l’objet principal et unique d’une entreprise », d’après Benoît Hamon…

Mais le projet s’ouvre à « toutes les entreprises qui s’en approprient les principes ». Cette définition floue risque de diluer les valeurs de l’ESS.

  • Le principe de la gouvernance démocratique (1 homme = 1 voix) ne figure pas dans le corps de la loi. 
  • De nouvelles structures seront apparentées, comme la SAS (société par actions simplifiée), ou certaines SA ou SARL. Ainsi, la nouvelle loi veut replacer l’ESS dans l’économie de marché. 
  • Le pilier de l’ESS, la gouvernance démocratique, est escamoté sous la pression du Mouves (Mouvement des entrepreneurs sociaux) qui veulent renvoyer la gouvernance à un enjeu secondaire. L’aspect de transformation sociale disparaît.

La FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) dénonce cette ouverture de l’ESS à des sociétés de capitaux « Ces acteurs, par l’existence d’un but lucratif, peuvent en effet attirer des capitaux plus facilement que les acteurs de l’ESS. Il nous semble par conséquent préférable d’orienter des capitaux publics uniquement vers ces derniers, vers les acteurs qui garantissent, par leurs règles de fonctionnement, la recherche de l’intérêt général, dans l’association démocratique des énergies.  La FNARSpropose ainsi de ne reconnaître comme structure de l’ESS que les entreprises qui respectent les principes de gouvernance démocratique (1 personne = 1 voix) et de non lucrativité individuelle(impossibilité de verser des dividendes). »

  • Danger de l’ouverture du périmètre de l’ESS à des sociétés de capitaux surtout dans la proposition de marchés publics réservés aux entreprises participant à l’insertion de personnes handicapées ou àl’insertion de personnes défavorisées
  • Pas de remise en cause des appels d’offres fondés sur la « concurrence libre et non faussée » avec prise en compte véritable de clauses environnementales et sociales
  • Selon la FNARS : « Un marché réservé qui n’intégrerait pas de critère d’appréciation de la performance d’insertion pour ne porter que sur la qualité de la prestation et son prix, n’apporteraitaucun avantage pour la qualité de l’accompagnement proposé aux publics.  »
  • Exemple du groupe Adecco de travail temporaire qui développe depuis 1993 des structures d’Insertion par l’Activité Economique. Le Réseau Adecco Insertion accompagne « les entreprises assujetties à des clauses sociales dans les marchés publics et privés. » S’il est demain labellisé ESS, il sera probablement aupremier rang pour l’obtention de ces marchés publics réservés et c’est toute la logique de l’Insertion par l’Activité Économique qui en sera bouleversée.

Une politique de gribouille : les mutuelles « assimilées à une affaire marchande et concurrentielle« 

Le projet Hamon manque de cohérence avec les autres lois prises par le gouvernement (ANI, loi bancaire…)

  • Thierry Beaudet, président de la MGEN, vice-président de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) dénonce l’« extinction de la voie mutualiste ». « Les mutualistes pensaient conduire une activité sociale de solidarité visant l’intérêt général. Ils découvrent qu’elle est assimilée à une affaire marchande et concurrentielle. »
  • Alors que la loi cadre Hamon veut le développement de l’ESS, la loi bancaire permet de restreindre la gestion démocratique des mutuelles d’assurances et des banques coopératives.
  • L’ANI (accord « made in Medef » sur le marché du travail ») ouvre un boulevard aux assureurs privés pour proposer une complémentaire santé aux salariés sans protéger la place des mutuelles (selon le président de la MGEN « banalisation concurrentielle, substitution obligatoire du contrat collectif à l’adhésion individuelle, régression de la solidarité nationale »)

L’habillage en guise de politique

Un « agrément solidaire d’utilité sociale » serait délivré par les Directions régionales.

Un projet sans élan

Benoît Hamon a annoncé qu’environ 200 000 entreprises seraient concernées et que la loi permettrait la création de 100 000 emplois nets :

  • 40 000 avec le doublement des Scop (il espère doubler leur nombre en 5 ans)
  • 54 000 avec l’évolution de l’associatif (principalement dans les services à la personne)
  • au moins 3 000 avec le développement des Scic (Société coopérative d’intérêt collectif)

Mais la confédération générale des Scop « reste prudente sur cet objectif » qui parait inatteignable au regard des mesures prévues dans le projet.

Les propositions du Front de gauche pour l’ESS

Au-delà du droit de préemption pour les salariés souhaitant reprendre leurs entreprises en coopérative, l’Humain d’abord proposait plusieurs mesures pour renforcer et développer l’économie sociale et solidaire.

Il inscrivait ce développement dans une perspective d’émancipation des travailleurs et d’extension de la propriété sociale pour réduire l’emprise de la finance sur les entreprises et développer l’emploi.

« Notre programme prévoit l’extension de la propriété publique par le développement des services publics. Il promeut de nouvelles appropriations sociales par la nationalisation de grands leviers de l’action économique, industrielle et financière. Il propose des formes décentralisées de la propriété sociale. Il veut aussi systématiser le recours à l’économie sociale et solidaire (ESS).
Le soutien public à l’économie sociale et solidaire, et notamment aux coopératives, sera fortement augmenté.
Une aide financière sera accordée aux salariés qui reprennent ou créent leurs entreprises sous forme de coopérative.
Nous favoriserons la création de sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) permettant d’associer salariés, usagers et collectivités territoriales dans des projets de développement local.
Les commandes de l’État, des collectivités et des services publics s’adresseront prioritairement à ces coopératives grâce à la modification de l’article 53 du Code des marchés publics.
Un soutien sera apporté aux initiatives d’habitat autogéré et coopératif, dans le cadre des programmes de création de logements sociaux, en neuf et en réhabilitation.
Enfin, l’ESS sera intégrée au programme des sciences économiques et sociales au lycée.
C’est en ce sens qu’une loi-cadre de l’ESS sera nécessaire afin de définir précisément les critères d’attribution des moyens de l’État et des collectivités publiques : les finalités sociales et environnementales des entreprises et des associations bénéficiaires ne pourront être dissociées d’un fonctionnement réellement démocratique
. »